Dr Mohamed Said Beghoul: "Pourquoi le gaz de Schiste est inopportun en Algérie
Date
8 janvier 2015
Source
Publication Quotidien El Watan, 8 janvier 2015
Avec la déplétion des principaux gisements de Hassi Messaoud, pour le pétrole, et de Hassi R’mel, pour le gaz, la chute de la production globale des hydrocarbures d’environ 17 à 20% durant la dernière décennie, la stagnation ou la diminution du niveau des réserves et les faibles volumes découverts annuellement, malgré les lourds investissements de recherche, les officiels algériens ont décidé de chercher la solution en braquant leurs projecteurs vers une autre génération d’hydrocarbures, les hydrocarbures non conventionnels et en particulier le gaz de schiste dont les réserves sont estimées, exagérément, à plus de 20 000 milliards (vingt mille milliards) de mètres cubes par l’Advanced resources international (ARI) dans le cadre d’un rapport établi à l’échelle mondiale pour le compte de l’US Energy information administration (EIA).
Ce rapport, publié en juin 2013, classe l’Algérie à la 4e place dans le monde après les USA, la Chine et l’Argentine. C’est ainsi que les dernières révisions de la loi sur les hydrocarbures (en vigueur depuis le 9 mars 2013) ont lancé, prématurément, un appât pour les compagnies pétrolières en injectant des blocs présumés potentiels en gaz de schiste dans le 4e appel d’offres dont l’ouverture des plis, effectuée le 30 septembre 2014, s’est soldée par des résultats très décevants au vu des attentes des décideurs et notamment quand on sait que la décision d’exploiter le gaz de schiste en Algérie a été officiellement avalisée par le Conseil des ministres en date du 21 mai 2014.
Sur les 31 périmètres lancés en appel d’offres, seuls quatre ont été pris par des consortiums dominés par des partenaires qui connaissent bien le domaine minier algérien (Repsol, Shell, Statoil), mais aucune compagnie n’a manifesté le moindre intérêt pour l’exploitation du gaz de schiste tant ambitionné par le gouvernement.
Ce manque d’engouement de la part des investisseurs étrangers trouve son explication plutôt dans le volet économique que dans le volet sécuritaire, comme le pensent certains milieux. L’acte isolé de la décapitation du ressortissant français Hervé Gourdel, le 21 septembre dernier, soit 10 jours avant le dépôt des offres et l’ouverture des plis, ne peut faire subitement de l’Algérie un pays à «hauts risques» comme il l’a été dans les années 1990 quand le pays traversait une période d’insécurité très généralisée, mais les contrats d’exploration avec les compagnies étrangères se signaient par dizaines.
Il y a 3 principales raisons de l’inopportunité du gaz de schiste en Algérie : une réactivité du management des projets inadaptée, un cadre géologie peu attractif en matière de shale gas, et une rentabilité incertaine. Sur le plan logistique et managérial, l’exploitation du gaz de schiste demande une réactivité et des prises de décision rapides, voire instantanées, notamment quand il s’agit d’acquisition et d’acheminement du matériel vers les chantiers.
Un projet shale gaz nécessite, en effet, la mobilisation ininterrompue de centaines d’appareils de forage. Les exploitations actuelles de gaz de schiste dans les pays les plus avancés dans le domaine se caractérisent par une forte densité de forages (une moyenne d’un puits tous les 200 mètres). En Algérie, l’essentiel du matériel de forage et produits de fracturation étant importés, la lenteur des transactions bancaires et des formalités administratives au niveau des douanes, par exemple, constituerait un «Non Productive Time» très coûteux pour le projet.
Le parc appareils de forage en Algérie est lui-même insuffisant pour les puits conventionnels. Sur le plan géologique, les compagnies qui connaissent le domaine minier algérien savent bien que la principale roche mère argileuse d’âge silurien, qui est censée constituer le «réservoir» du gaz de schiste algérien, n’a pas les caractéristiques minéralogiques requises pour la réussite de la fracturation hydraulique (absence notable de minéraux cassants). Les problèmes techniques rencontrés lors du forage conventionnel de ces argiles, très ductiles et gonflables, en sont une preuve patente.
Dans le même temps, ces argiles auraient un index de productivité très faible du fait de la concentration insignifiante de gaz libre. L’essentiel du gaz libre a déjà migré il y a 150 millions d’années pour remplir les gisements conventionnels que nous exploitons aujourd’hui. Les ressources de gaz de schiste algérien ont été largement surestimées par la méthode volumétrique déterministe peu adaptée à ce type de «réservoir» dont la porosité utile se situerait entre 2 et 4% au vu de la grande profondeur de l’objectif.
Cette faible porosité, combinée au comportement rhéologique plastique de la roche, pénalisant toute possibilité de fracturation et de création de perméabilité, donnerait un taux de récupération dérisoire de 5 à 8% contre 15 à 22% dans les argiles à minéralogie cassante (cas de certains gisements nord-américains).
Une estimation probabiliste et objective du facteur de risque géologique situerait ce dernier à un niveau très élevé, écartant ou ajournant toute décision d’investissement avant l’approfondissement des études. Ceci dit, la présence d’une roche mère argileuse aussi épaisse et entendue soit-elle n’est pas un critère éligible ou suffisant pour espérer un développement de gaz techniquement et économiquement exploitable, même si toutes les argiles du monde ont tendance à laisser échapper un peu de gaz lors des premiers forages.
Sur le plan économique, il est utile de signaler qu’au vu des coûts historiques des puits conventionnels, le coût d’un forage de gaz de schiste, en Algérie, pourrait dépasser 20 millions de dollars dans le Sahara ouest où se concentrerait le potentiel présumé du gaz de schiste. Une simple simulation économique peut montrer que la rentabilité passe par un prix de vente qui excéderait 15 dollars/million BTU pour le gaz brut et 20 dollars pour le GNL, alors que le pays peine à placer son gaz conventionnel à 10 dollars sur le marché européen au moment où le Qatar et autres Australie s’apprêtent à exporter leur gaz vers le Vieux continent, faisant chuter les prix sur les marchés spots à des niveaux très bas par rapport aux prix des contrats long terme (cas de l’Algérie) sur lesquels plane sans cesse une renégociation les indexant sur les prix spot.
Aussi, pour les investisseurs étrangers, les dernières révisions de la loi sur les hydrocarbures n’ont pas amélioré les dispositions économiques en matière de subventions et exonérations fiscales pour le gaz de schiste, sachant que l’exploitation de ce type de gaz requiert d’importantes dépenses qui exposent l’opérateur à de profonds gouffres financiers, comme on le constate actuellement pour certaines grandes compagnies de renommée internationale.
A ce titre, aux Etats-Unis, par exemple, une loi permet aux investisseurs dans les projets à hauts risques d’amortir la quasi-totalité des coûts de forage et l’incitation à forer est donc très importante, ce qui explique pourquoi des milliers de puits sont creusés alors qu’ils ne sont ni productifs ni rentables. Ce modèle américain ne peut en aucun cas être transposé ni à Sonatrach ni à ses partenaires.
L’Algérie a donc décidé d’exploiter son hypothétique gaz de schiste à un moment malaisé et inopportun, où les problèmes de la surestimation des réserves, des coûts élevés et de la non-rentabilité ont commencé à faire l’unanimité à l’échelle mondiale à partir de l’année 2012, et au moment-même où bon nombre de compagnies majors s’apprêtent à faire marche arrière.
En Pologne, par exemple, le généreux potentiel de 5000 milliards de mètres cubes attribué par l’agence américaine d’information sur l’énergie en 2011 vient d’être divisé par cinq après une réévaluation par les géologues polonais. Bien que du gaz ait été produit dans certains puits, beaucoup de compagnies (Exxon, Talisman et Marathon Oil) ont abandonné leurs licences d’exploitation et en 2013 c’est au tour du groupe français Total de renoncer aux recherches, estimant qu’il faut une cinquantaine de puits juste pour tester la faisabilité et plus de 300 puits pour juger de la rentabilité.
Au Royaume-Uni, GDF-Gaz de France Suez, l’autre groupe français investissant dans le gaz de schiste, annonce des coûts de production fluctuant entre 8 et 12 dollars /million BTU, alors que sur le marché européen le prix du gaz est de 10 dollars/million BTU. Une quarantaine de grandes sociétés spécialisées en pétrole et gaz de schiste s’empêtrent progressivement, depuis 6 ans, dans le problème de rentabilité et de dégradation financière. Avec des coûts de forage dépassant les 10 millions de dollars, dont 30% à 40% pour la seule fracturation, et des prix de vente de gaz en-dessous des coûts réels de production, les marchés de capitaux commencent à arrêter le soutien des projets non conventionnels.
Beaucoup de sociétés envisagent de céder des actifs comme la française Total, BHP Billiton et même Chesapeake, le leader du gaz de schiste américain, dont le patron a démissionné suite à un scandale à Wall Street qui a prêté à cette compagnie 16 milliards de dollars pour l’achat de licences d’exploitation sur plus de 6 millions d’hectares. Après l’achat des licences, des milliers de forages ont cessé de produire, mettant Chesapeake financièrement à genoux.
Ou encore ce cri d’alarme du patron d’Exxon, Rex Tillerson, qui, en 2013, a dit ceci : «On ne fait pas d’argent, tout est dans le rouge. Nous sommes en train de perdre notre chemise dans ce gaz naturel.» Pourtant, les forages ne sont pas aussi profonds qu’en Algérie. Par ailleurs, la production de gaz de schiste américain a commencé à décliner en janvier 2012 sur 4 champs parmi les cinq principaux qui constituent 80% de la production de ce type de gaz aux USA. Celle de Barnett, l’un des plus potentiels des gisements, est tombée de 20% en deux ans.
L’éclatement de la bulle de gaz de schiste quelques petites années seulement après son boom est bien corroboré par la réduction de 50% des budgets alloués par les compagnies nord-américaines en 2013. Selon la source «Bloomberg», les budgets d’exploitation de ce gaz passent, en effet, de 54 milliards de dollars en 2012 à 26 milliards de dollars en 2013.
Ces restrictions budgétaires concernent notamment les zones déjà en exploitation, tandis que la suspension voire l’annulation des investissements concernent les zones n’ayant pas encore fait l’objet d’évaluations concrètes, mettant en évidence l’existence d’un potentiel prouvé et économiquement exploitable, comme c’est le cas de l’Algérie.
Si la main tendue par l’Algérie aux investisseurs étrangers par le biais du quatrième appel à la concurrence sur l’exploration conventionnelle et non conventionnelle des hydrocarbures n’a pas trouvé d’échos favorables, bien qu’on soit encore aux débuts de l’éclatement de la bulle du gaz de schiste, qu’en sera-t-il dans les années à venir, quand les bienfaits économiques de l’exploitation de ce gaz, aux Etats-Unis en particulier, ne seront plus qu’un sournois vieux souvenir ?
L’Algérie s’est donc trop empressée en voulant exploiter son prétendu gaz de schiste sans recueillir les avis de ses vrais experts et spécialistes sur l’opportunité de ce dossier. Ces avis semblent clairement exhibés par les partenaires au vu des résultats du quatrième appel à la concurrence dont l’ouverture des plis a eu lieu, publiquement, le 30 septembre 2014.
Dr Mohamed Saïd Beghoul