Le vrai paysage pétrolier algérien (version française)
Date
12 janvier 2015
Source
Dr Mohamed Said BEGHOUL
Depuis une dizaine d’années le secteur pétrolier algérien traverse une période de turbulence avec notamment le déclin de production d’hydrocarbures mais l’interprétation trop simpliste, des uns et des autres et peu décryptée de ce malaise semble plonger le citoyen et les pouvoirs publics dans des conclusions hâtives et alarmistes à même de féconder une polémique faisant état que l’Algérie importera du pétrole et du gaz incessamment sous peu. Il n’est pas de notre intention de vouloir cacher une réalité mais il est de notre devoir de contribuer à autopsier, avec plus de discernement et de prudence, cette contre-performance du secteur énergétique algérien durant les dix dernières années.
Devant l’incapacité d’asseoir une économie de production (hors hydrocarbures), la situation macroéconomique de l’Algérie reste accoudée, à plus de 95%, sur les exportations de pétrole et de gaz, exposant ainsi le pays au risque permanent de naufrage. Voilà qui est fait ! Avec des réserves mitigées, une production en déclin, un marché intérieur de plus en plus absorbeur, des volumes exportés à la baisse, un solde commercial érodé et, en plus, un partenariat en repli, nous sommes interpellés à nous remettre en cause, finir avec les discours triomphalistes et opter pour des solutions prioritaires, raisonnables, adéquates et rentables. Ceci est d’autant plus urgent qu’aucun algérien ne peut rester engourdi devant la morosité du constat que voici et qui perdure depuis une dizaine d’années. Une réalité qui défie tous les discours triomphalistes et euphoriques qui se veulent rassurants .
Des réserves officielles mitigées
Nos réserves officielles n’augmentent plus depuis le début des années 2000. Les modestes découvertes réalisées, nombreuses mais de petites tailles, peinent à faire redresser la courbe comme par le passé. En effet, entre 2004 et 2011, les quelques 140 découvertes qui ont été réalisées n’ont ramené que 500 millions de tonnes équivalent-pétrole (Tep) récupérables alors que la production cumulée sur la même période est d’environ 1800 millions de Tep, soit un taux de renouvellement des réserves inférieur à 30%.
A l’échelle mondiale, l’Algérie occupe la 15ème place pour le pétrole avec 12 petits milliards de barils (0.7% des réserves mondiales) et la 10ème place pour le gaz avec, dit-on, 4500 (?) milliards de mètres cubes (2% des réserves mondiales). Ce qui est curieux, c’est qu’officiellement au jour d’aujourd’hui et depuis plus d’une décennie, on ne note encore aucun début de déclin des réserves prouvées tant pour le pétrole que pour le gaz alors que les volumes produits ne sont que faiblement reconstitués (moins de 30%). Le premier embarras résiderait donc dans la stagnation quelque peu énigmatique est inquiétante du niveau des réserves. Restons d’abord sereins, mais prudents, puisque nombreux sont les pays qui ont déjà connu de situations pareilles à l’exemple du Venezuela.
Durant une vingtaine d’années (1985-2005) les réserves de pétrole du Venezuela ne s’éloignaient pas des 75 milliards de barils avant de connaître un saut spectaculaire entre 2005 et 2012 atteignant 297 millions de barils et faisant de ce pays la première richesse pétrolière du monde (18% des réserves mondiales), rétrogradant ainsi l’Arabie Saoudite à la deuxième place avec 266 milliards de barils (16% des réserves mondiales). Mais sommes-nous dans le même cas ?
Une production en déclin
Après le pic de 75 millions de tonnes en 2004, notre production de pétrole (mélangé à du condensat) a chuté sous la barre des 65 millions les années d’après puis à 61 millions de tonnes en 2012 (1.1 million baril par jour), soit une dégringolade de 20% en 8 ans. La production du pétrole brut n’était que de 980 000 barils par jour dont la moitié en association. Quand à la production gazière, elle, est passée de 154 milliards de mètres cubes en 2008 à 132 milliards de mètres cubes en 2012 (un recul de 14% en quatre ans). A noter qu’environ 40% du gaz produit est réinjecté pour le maintien de la pression des vieux gisements. Globalement, la production algérienne (tous produits confondus) est tombée de 233 millions de Tep en 2007 à 194 millions Tep en 2012, soit une baisse de 17% en l’espace de 5 ans. Mais un déclin de la production, seule, sur quelques années ne signifie pas nécessairement le passage par le pic pétrolier. Un déclin de la production pourrait être lié à des facteurs occasionnels d’ordre stratégique, technique, sécuritaire, etc. Les évènements comme ceux ayant touché l’unité de traitement de gaz de Tiguentourine, en Janvier 2013, peuvent générer un gap dans la production nationale bien que le déclin de cette dernière a été amorcé avant ces évènements. Le meilleur exemple vient aussi du Venezuela dont la production a chuté de 3.7 millions barils/jour dans les années 1970 à 1.7 millions b/j dans les années 1980 pendant que les réserves passent de 10 milliards de barils à 55 milliards de barils et tout récemment, entre 2004 et 2012, la production vénézuélienne a encore chuté de 3.3 millions barils/jour à 2.7 millions barils /jour mais ce déclin de 18% n’a rien d’un pic pétrolier puisque les réserves ont plus que triplé sur la même période (passant de 87 milliards de barils à 297 milliards de barils). Néanmoins, concernant l’Algérie, la prudence reste de taille: si notre production et nos réserves n’augmentent toujours pas d’ici à quelques années, cela pourrait bien être soit un signe précurseur du fameux pic pétrolier tant suspecté par les uns, auquel cas la production algérienne serait déjà passée par son pic pétrolier en 2004 et gazier en 2008 et qu’une augmentation signification de la production dans les années à venir demeure hautement hypothétique, soit signifier tout simplement notre échec dans les efforts de reconstitution des réserves par des découvertes d’exploration plus volumineuses et des taux de récupération plus élevés.
Un marché intérieur de plus en plus absorbeur
Avec ses 38 millions d’habitants et un parc roulant de 6 à 7 millions de véhicules, l’Algérie est le 4ème consommateur d’énergie en Afrique avec l’équivalent d’un peu plus d’une tonne équivalent pétrole (1.15 Tep) par habitant et par an, derrière l’Afrique du Sud (2.8 Tep), la Libye (2.18 Tep) et le Gabon (1.25 Tep). Il est clair que l’appétit énergétique de l’Algérie semble un peu démesuré comparativement à ces pays si l’on sait que l’Afrique du sud est la première économie (hors hydrocarbures) du continent avec un PIB de 11 600 dollars par habitant (malgré ses 48 millions d’habitants) pendant que la Libye et le Gabon (pays pétroliers), avec respectivement 6 millions et 1.7 millions d’habitants, ont des PIB de 12 300 et 16 700 dollars par habitant (données année 2013). Le PIB algérien tourne autour de 5000 à 6000 dollars par habitant (l’un des plus bas dans l’OPEP). La consommation locale d’hydrocarbures ne cesse d’augmenter d’année en année avec, par exemple, le saut de 230 000 barils par jour de pétrole en 2004 à 350 000 barils par jour en 2012, soit une croissance de 4% par an. La consommation de gaz, avec un taux légèrement plus rapide (5 à 5.5% par an) était de 22 milliards de mètres cubes en 2004 et est d’environ 34 milliards de mètres cubes aujourd’hui.
La surconsommation d’énergie en Algérie est encouragée par des tarifs considérés parmi les plus bas au monde. Les prix, fixés par décrets exécutifs, sont en moyenne de 21 à 23 DA le litre d’essence et 780 DA les 1000 mètres cubes de gaz pour le public et 1560 DA pour les industriels. Ce qui correspond à environ 50 dollars le baril d’essence et à une moyenne de 0.4 dollars le million BTU pour le gaz (un million BTU- British Thermal Unit– correspond à 28 mètres cubes de gaz). On voit que l’algérien consomme un produit raffiné deux fois moins cher que le pétrole brut et un gaz 10 fois moins cher que le fameux gaz de schiste américain. L’Algérie ne corrèle pas encore le prix du carburant à celui du prix du baril de pétrole. Mais vu ce ‘’gaspillage’’ d’énergie que connait le pays, tout porte à croire que l’état algérien ne tardera pas à mettre le paquet sur les prix.
Des volumes exportés en baisse
Conséquence de la décroissance de la production et de l’émergence du marché intérieur, les exportations de pétrole ont chuté d’environ un (01) million de barils/jour en 2005 à 700 000 barils/j en 2012 et celles du gaz de 64 à 54 milliards de mètres cubes, c’est-à-dire une diminution des volumes exportés de 30% pour le pétrole et 16% pour le gaz. Pour la première fois dans l’historique des volumes commercialisés, la part du marché intérieur atteint ou dépasse la moitié des quantités exportées. En l’absence de réserves et de capacités de production conséquentes, les volumes destinés au marché intérieur et extérieur risquent de se substituer les uns les autres, non sans engendrer de fractures sociaux-économiques.
Des recettes d’exportation illusoires
En dépit du recul manifeste des volumes d’hydrocarbures exportés, l’Algérie n’a jamais engrangé autant de recettes comme durant la décennie écoulée avec un total avoisinant 600 milliards de dollars du fait de la bonne tenue du prix du baril qui a grimpé de 54 dollars en 2004 à 112 dollars en 2012 (une moyenne de 83 dollars/baril pour la décennie). La contribution du gaz naturel dans les recettes globales n’était que de 35% et celles du pétrole qui totalisent 400 à 410 milliards de dollars ne sont pas une panacée pour autant. Elles ont juste servi à couvrir les importations qui ont cumulé jusqu’à 360 milliards de dollars sur la décennie laminant ainsi le solde commercial. La chute de la production totale revenant à Sonatrach au détriment de celle des associés (qui a doublé en 10 ans), fait de la compagnie nationale un groupe financier se soignant de plus en plus de la fiscalité, comme par exemple la taxe sur le profit exceptionnel (TPE) qui consiste à prélever un pourcentage (allant de 5 à 50%) sur la production du partenaire quand le prix du baril dépasse 30 dollars. Il faut noter qu’environ 10% des recettes d’exportation reviennent aux partenaires de Sonatrach. Aussi, la part de la production en association grossit d’année en année et dépassera les 50% très prochainement.
Les années à venir ou les années ‘’ de disette ’’
La situation actuelle est déjà assez critique, qu’en sera-t-il pour les années à venir ? Il va falloir produire plus de pétrole et de gaz pour satisfaire durablement la demande à tous les niveaux (le marché intérieur, les exportations et, pour le gaz, la réinjection). Une simple extrapolation des tendances montre qu’à l’horizon 2025-2030, il faudra au moins 720 000 barils/jour de pétrole et 60 milliards de mètres cubes de gaz par an pour répondre à la demande des 45 millions d’algériens et leurs 20 millions de véhicules.
Dans le même temps il va falloir exporter plus de 1.5 million baril/jour de pétrole et pas moins 90 milliards de mètres cubes de gaz par an pour assurer une balance commerciale saine. Cela ne pourrait se réaliser qu’avec une production globale d’environ 320 millions de Tep par an (2.2 millions barils/jour de pétrole et 220 milliards de mètres cubes de gaz par an), laquelle production reste commandée par un accroissement substantiel des réserves au risque d’épuiser l’existant au bout d’une quinzaine d’années (d’ici à 2030). Est-ce possible de relever ce défi en si peu de temps sachant que le pays entame aujourd’hui une bataille sur deux fronts : le déclin des réserves et de la production, d’une part, et la chute du prix du baril, d’autre part.
Si pour le marché intérieur il y a la possibilité d’appliquer les articles 50 et 51 de la loi, invitant, si besoin est, le contractant à limiter sa production et à privilégier l’approvisionnement du marché intérieur, bien que le recours à ces articles n’est autre qu’une forme d’importation ‘’in situ’’ puisque l’hydrocarbure cédé par le contractant sera payé par l’état algérien, la satisfaction des volumes à exporter, épine dorsale de notre économie demeurent problématiques.
Faut-il croire encore aux projections euphoriques ?
Les discours euphoriques des années 2000 faisant état de la possession de grosses réserves permettant de doubler la production, les exportations, couvrir largement les besoins en interne est un mirage qui a émoustillé certains responsables du secteur, peu ou mal éclairés sur la réalité des choses. En 2003, Monsieur le ministre, en poste, affirmait à la presse que « Les capacités nationales sont très importantes et cela va permettre d’augmenter les exportations de gaz de 62 à 85 milliards de mètres cubes par an avant la fin 2010 et à 110 milliards de mètres cubes par an dès 2015 ». En 2006, c’est au conseiller du ministre d’enchainer que « Le potentiel de nos gisements nous autorise à considérer un objectif d’exportation de 85 milliards de mètres cubes à un horizon proche ». Nous sommes à la veille de 2015 et nos exportations chutent, plutôt, à 50 milliards de mètres cubes par an. De quel potentiel parlaient alors ces hauts responsables? Faut-il encore croire aux projections du PMTE 2012-2016 qui ambitionne d’investir 68 milliards de dollars dont une cinquantaine en amont pour hisser les réserves et les exportations sachant assurément que les vraies réserves prouvées du pays ne sont pas de 4500 milliards de mètres cubes mais d’environ 2200 milliards de mètres cubes seulement (mon estimation)? Le déclin de la production nationale tire sa racine du vieillissement des principaux champs de Hassi Rmel et de Hassi Messaoud.
Le gisement de Hassi Messaoud, qui a déjà livré près de 58% de ses réserves initiales récupérables estimées à 12 milliards de barils, ne représente que 33% des réserves algériennes de pétrole. Sa production journalière qui était de l’ordre de 425 000 barils par jour en 2000 n’est que d’environ 280 000 barils par jour aujourd’hui, soit un déclin de 34%. Ce gisement ne contribue qu’à hauteur de 30% dans la production nationale, suivi des champs en association d’Ourhoud (17%) et de Berkine (14%).
Le champ de gaz de Hassi Rmel a déjà produit plus de 60% de ses réserves initiales récupérables qui sont de l’ordre de 2700 milliards de mètres cubes. Les réserves restantes seraient de 800 à 900 milliards de mètres cubes, soit 40% des réserves de gaz du pays. Avec une production moyenne annuelle de 70 -80 milliards de mètres cubes, ce gisement contribue à hauteur de 60% dans la production gazière. A ce rythme, le champ de Hassi Rmel ne couvrirait que 10 années de commercialisation. Comme conséquence de la déplétion de Hassi Rmel, la production annuelle du condensat a chuté de 50%, passant de 16 millions de tonnes en 2004 à seulement 9 millions de tonnes aujourd’hui.
Ces deux ‘’ mamelles ’’ de l’économie algériennes sont victimes d’un abus de production et de négligence depuis les années 2000. Voilà ce qui semble expliquer la chute de la production et des exportations et le recours très prématuré et injustifié aux hydrocarbures non conventionnels et en particulier le gaz de schiste.
Un partenariat en repli
Au vu de la nouvelle loi relative aux hydrocarbures, incluant l’exploitation des ressources non conventionnels et l’injection dans le 4ème appel d’offre, en janvier 2014, de blocs considérés comme prometteurs en gaz de schiste, on comprend que l’état algérien est plus que jamais décidé à opter pour une transition énergétique à l’américaine.
Sur les 31 périmètres lancés en appel d’offres, seuls quatre ont été pris par des consortiums dominés par des partenaires qui connaissent bien le domaine minier algérien (Repsol, Shell, Statoil) mais aucune compagnie n’a manifesté le moindre intérêt pour l’exploitation du gaz de schiste tant ambitionné par le gouvernement. Ce manque d’engouement de la part des investisseurs étrangers trouve son explication plutôt dans le volet économique et managérial que dans le volet sécuritaire comme pensent certains milieux. L’acte isolé de la décapitation du ressortissant français Hervé Gourdel, le 21 septembre dernier, soit 10 jours avant le dépôt des offres et l’ouverture des plis ne peut faire subitement de l’Algérie un pays à «haut risque» comme il l’a été dans les années 1990 quand le pays traversait une période d’insécurité très généralisée mais les contrats d’exploration avec les compagnies étrangères se signaient par dizaines. La lourdeur des taxes prescrites par la dernière loi est venue décourager le flux d’un partenariat déjà en repli depuis 2010 pour des raisons que tout le monde connait.
En guise de recommandation
Devant la baisse de la production gazière et des quantités destinées à l’exportation, nos décideurs n’ont pas trouvé mieux que de privilégier la manière à l’art pour essayer de reconstituer les réserves : exploiter le gaz de schiste et, pour le type conventionnel, transformer le domaine minier en gruyère en creusant des centaines de trous. C’est ce qu’on appelle ‘’compliquer une situation extrêmement simple’’. Cela dénote un manque avéré de visibilité dans le choix de la politique énergétique. Pour le gaz de schiste, nous avons vu qu’en Algérie, cette option est vouée à l’échec. Quant à forer plus de puits pour découvrir plus de pétrole et de gaz, en passant de 30 à 100 forages d’exploration par an, cela relève de l’aberration. La nature n’obéit pas à la règle de trois. Il est utile de rappeler, encore une fois, que durant la dernière décennie (source : rapports annuels de Sonatrach), le nombre de forage a était multiplié par deux et le volume découvert divisé par deux. L’accroissement des réserves conventionnelles sera possible par une politique de recherche mieux réfléchie et une meilleure gestion des gisements anciens (réévaluation, extension et amélioration des taux de récupération). Il est mondialement admis que 70% des nouvelles réserves proviennent de cette démarche. Les efforts de recherche par la multiplication des forages a toujours été un échec aussi bien en Algérie que dans le monde à l’exemple des Etats-Unis où les réserves additionnelles ont chuté de moitié pour un même effort d’exploration et les américains, l’ont bien compris. Il y a lieu de favoriser l’effort de forage dans les zones classées dans la catégorie des réserves possibles. Des centaines de structures de gaz dorment encore dans cette catégorie et l’intensification de l’effort forage sur ces zones apportera certainement de nouvelles réserves. Pour le gaz, le passage à la catégorie du probable ou prouvé hissera les réserves de plus de 1000 milliards de mètres cubes auxquels il faut rajouter les réserves non encore développées et qui se situeraient autour de 600 milliards de mètres cubes, voire plus. Concernant les ressources restant à découvrir par l’effort exploration, c’est la Sonatrach elle-même qui ne cesse de réitérer que seulement 33% du domaine minier est exploré. La réhabilitation de l’investissement dans les hydrocarbures conventionnels doit être une des priorités par rapport aux différents financements non rentables comme les infructueuses dépenses en international, le gaz de schiste, etc.
Dr Mohamed Said Beghoul