Dr Mohamed Said Beghoul: «Avec son désintéressement relatif à ses activités en Algérie, Total ne souhaite pas partir les mains vides»
Date
27 juillet 2016
Source
Yanis Koceyla
Reporters : Le groupe français Total a engagé un bras de fer commercial avec la Sonatrach à laquelle il réclame 500 millions d’euros. En cause la taxe sur les profi ts exceptionnels (TPE) instaurée dès 2006 et dont le groupe français conteste la rétroactivité. Qui a tort et qui a raison dans ce dossier ? Ensuite, pourquoi Total a-t-il attendu dix ans pour ré- clamer ces sommes ?
Mohamed Saïd Beghoul : Qui a tort ? La TPE, instaurée en août 2006, s’applique uniquement aux contrats PSC dans le cadre de la loi 86-14 du 19/08/1986 et dans laquelle cette taxe n’a pas été prise en compte. Le prix moyen du baril ne dépassait pas 20 dollars, loin du seuil des 30 dollars fi xé par la TPE quand le baril côtoyait les 100 dollars en 2006. Avec les changements économiques mondiaux, et il est légitime que chaque pays reste souverain pour adapter ses lois aux réalités économiques de l’heure. Cette taxe, qui constitue une sorte d’«omission» dans la loi 86-14 n’a été prise en compte que 20 années plus tard par l’ordonnance 06-10 du 29/07/2006, relative à la loi 05- 07 du 28/04/2005, d’où son caractère rétroactif rejeté par les partenaires. Cette forme de taxe a déjà été appliquée par beaucoup de pays, dont les Etats-Unis (Windfall profi t tax), la Russie, etc. Quant au problème de sa rétroactivité en Algérie, il s’agit de la mise à jour d’une loi et non d’un avenant au contrat entre Sonatrach et ses partenaires. Pourquoi Total a attendu 10 ans pour réagir? Ce n’est pas innocent. Depuis la loi 05-07 du 28/04/2005, qui se voulait plus attractive, le groupe français Total cherchait à emboiter le pas aux compagnies américaines et italiennes omniprésentes en Algérie, en essayant d’entretenir ses bonnes relations de partenariat avec Sonatrach au moment où des dizaines de blocs alléchants sont mis en appel d’offres. Total n’aurait pas jugé opportun d’entrer en litige avec Sonatrach au risque de compromettre ses ambitieux contrats en vigueur et à venir dont celui gazier de l’Ahnet, avec ses 500 milliards de mètres cubes de gaz, diffi cilement arraché dans le cadre du second appel d’offres en 2010. Aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé avec la cession de sa participation dans Cepsa en 2011, l’abandon de l’Ahnet, le dé- cès de son Directeur général, Christophe de Margerie, en octobre 2014 et son remplacement par Patrick Pouyanné, à l’origine du recours à l’arbitrage d’ailleurs. Avec son dé- sintéressement relatif à ses activités en Algérie, Total, ne souhaitant pas partir les mains vides, veut revendiquer ses «droits» en entraînant en boule de neige, avec elle, Repsol pour faire plus de pression sur Sonatrach, sachant qu’Anadarko a eu gain de cause dans la même affaire en 2012 et d’autant plus que les actifs de Total ont également subi les contrecoups de la crise pétrolière qui sévit.
Quelles chances a la requête de Total d’aboutir, sachant que Sonatrach a riposté en réclamant pour sa part une somme de 100 millions d’euros comme dédommagements sur le dossier de l’Ahnet que Total a abandonné sur une décision unilatérale ? Subséquemment quelle chance a Sonatrach de gagner les deux procédures ?
Arithmétiquement parlant, les 100 millions d’euros réclamés par Sonatrach n’empêcheraient pas Total de réclamer au moins 400 millions d’euros. Et si Total accepte de dédommager Sonatrach à hauteur de 100 millions d’euros pour l’Ahnet en maintenant une requête de 400 millions d’euros pour la TPE, quelle sera la prochaine cartouche à tirer par Sonatrach? Sonatrach n’aurait pas dû agir de la sorte en mêlant les deux affaires et jouant au chat et à la souris. Sonatrach s’est positionnée dans la dé- fensive, ce qui réduirait ses chances d’avoir gain de cause sur la TPE. Il ne faut pas oublier qu’avec Anadarko en 2012, Sonatrach avait privilégié l’amiable à l’arbitrage au prix de 6,4 milliards de dollars, dont 1,8 milliard de dollars de dommages et intérêts. Quant aux chances de Total, on dit qu’il existe des délais à ne pas dépasser pour porter plainte et que Total ne gagnera jamais cette affaire, mais la notion de délais ne semble valable que pour les contentieux qui ont déjà été jugés et n’ayant pas eu de recours. Même si Total perd cette affaire, sa plainte demeure recevable.
Pensez-vous que le précédent Anadarko et Maersk ait ouvert une brèche pour la compagnie Total (et d’autres ?) pour réclamer des dus dans le cadre de cette taxe ?
Absolument. Anadarko et Maersk ont servi de laboratoire et ont obtenu gain de cause à l’amiable sans aller à l’arbitrage international, ce que Sonatrach a toujours évité. Aujourd’hui, avec la dégringolade des chiffres d’affaires et des bénéfi ces, les partenaires touchés par cette mesure de TPE sont plus que jamais motivés à copier sur Anadarko, laquelle a engrangé l’équivalent de 6 fois son bénéfi ce de l’année. Après Anadarko et Maersk, c’est Conocophilips qui, en 2012, avait tenté d’engager la même démarche au moment où elle vendait ses actifs en Algérie à l’indonésienne Pertamina, avant de se retirer du pays. Total (et Repsol) viennent de faire de même. À qui le tour? Tout dépend du résultat avec Total.
Partagez-vous l’avis selon lequel l’action de Total en direction de Sonatrach serait en fait motivée par le déclin de la part de la compagnie française dans la production globale en Algérie ?
Je ne partage pas cet avis. C’est plutôt l’inverse. Ce n’est pas la chute de la production de Total qui motive son recul par rapport à ses activités en Algérie, mais c’est plutôt son désir de se retirer qui motive la chute de sa production en Algérie. C’est vrai que la production de la société Total a chuté de presque de moitié entre 2010 et 2012, en passant de 41 000 barils-équivalent pétrole par jour à 23 000 barils-équivalent pétrole par jour, soit 2% de la production nationale, mais cette chute a été générée dé- libérément par Total elle-même en procédant à la cession de ses actifs (48,83%) dans l’espagnole CEPSA en 2011. Donc l’action de Total en direction de Sonatrach n’a rien à voir avec le déclin de sa part dans la production globale en Algérie. Total a planifi é son retrait.
Le directoire de Total a admis que l’Algérie n’était plus un « partenaire majeur» pour la compagnie française. Cela explique-til la démarche française, et éventuellement cela dénote d’une volonté d’en découdre défi nitivement avec le domaine pétrolier algérien ?
Ce n’est pas une question de découdre défi nitivement avec le domaine pétrolier algérien, mais une question d’intérêt. Total et Sonatrach se connaissent depuis longtemps et travaillent en partenariat depuis longtemps. Deux compagnies peuvent ne pas s’entendre, mais pour des intérêts communs elles sont condamnées à travailler ensemble. Aujourd’hui, le marché pétrolier a basculé vers une nouvelle génération de business. Il est clair qu’on doit choisir d’abord son business et fi xer ses objectifs et ses priorités avant de choisir son partenaire. Total était un partenaire ambitieux en Algérie et notamment à travers le contrat gazier de l’Ahnet avec ses 500 milliards de mètres cubes et qui devrait entrer en production avec un plateau préliminaire de 4 milliards de mètres cubes dès l’année 2015. Pour ce projet, durement dé- croché lors du 2e appel d’offre en 2010, Total a présenté la meilleure offre en acceptant de payer un peu plus de 4 dollars par million de baril-équivalent pétrole récupérables comme droit d’accès aux découvertes de Sonatrach. Tout a commencé quand la partie algérienne a refusé de rediscuter certaines clauses du contrat suite à un problème de rentabilité soulevé par Total en 2013. Comment expliquer les nombreux cas de litiges portés devant les juridictions internationales contre Sonatrach par les compagnies pétrolières étrangères ? Et surtout les issues qui ont sanctionné chacune d’elles ? Dans le monde, rares sont les contrats pé- troliers qui ne sont pas confl ictuels et Sonatrach ne peut faire exception. Seulement, si ça devient une habitude et que la compagnie est toujours au banc des accusés, il y a effectivement lieu de se poser la question. En dehors de la TPE, les premiers contrats de Sonatrach n’ont pas connu trop de litiges. Mais avec la maîtrise de son domaine minier, le pays a tendance à élever la barre plus haut, notamment en matière de taxes tout en fermant la porte à la renégociation si besoin est. C’est justement le cas de l’Ahnet avec Total. Mais un contrat bien fi celé ne devrait pas connaître de litiges. Les vides juridiques dans les contrats et l’absence d’une volonté de se remettre en cause avec le partenaire sont les principales sources des contentieux contre Sonatrach. Les procès internationaux sont longs et coûteux et Sonatrach se doit de mieux composer avec ses partenaires, pour le bien du pays.
La production nationale d’hydrocarbures devrait augmenter de 30% sur les quatre années à venir, a annoncé à Hassi Messaoud le nouveau ministre de l’Energie, Noureddine Bouterfa. De son côté, le P-DG de Sonatrach, Amine Mazouzi, avait dé- claré récemment indiqué qu’il y aura une hausse assez importante de la production d’hydrocarbures laquelle s’est déjà faite ressentir avec les résultats obtenus à fin février, où les objectifs de production ont été atteints à 100%. Quel commentaire faites de ces deux déclarations plutôt «rassurantes» ?
Je commence par celle du P-DG de Sonatrach pour dire qu’il y a déjà un petit bémol. Nous sommes en juillet et le P-DG parle de février. Qu’en est-il des mois de mars à juillet ? Beaucoup de choses peuvent changer en 6 mois. Si en février on a atteint 100% des objectifs, c’est tant mieux, mais si le résultat est une hausse de la production de seulement 0,1% par rapport à mes prévisions, c’est très peu et puis l’important n’est pas de progresser, mais c’est de maintenir la progression au fi l du temps. Pourquoi n’a-t-il pas donné de chiffres? Dans les pratiques managériales, un objectif doit être chiffré. Concernant l’augmentation de la production nationale de 30% d’ici à 2020, annoncé par le nouveau ministre de l’Energie, je dirai de suite que c’est trop ambitieux comme objectif. La production de 2015 était de 191 millions de tonnes-équivalent pétrole (TEP) et en supposant que celle de 2016 atteigne 195 millions TEP, la production de 2020 devrait être d’environ 254 millions TEP, soit 10% de plus que le plateau maximal atteint durant la belle période 2005-2008. C’est vrai qu’une série de gisements non développés vont être mis en production entre 2016 et 2019, mais historiquement parlant, et compte tenu de nos capacités de production, le taux moyen d’accroissement de la production nationale est de 2,3% par an contre 9% estimés sur la base de la déclaration du nouveau ministre. Ainsi, la production en 2020 ne pourrait dépasser les 220 millions TEP, soit un plateau toujours infé- rieur à celui de la période 2005-2008 (232 millions TEP), auquel cas l’ombre de notre pic pétrolier n’est pas à écarter.