L'OPEP n'est pas en mesure de réguler le marché pétrolier
Date
23 novembre 2016
Source
Le soir d'alger , Édition du 23/11/2016
Le couple Opep – non-Opep s’entrelacera-t-il pour danser la valse de Vienne le 30 novembre prochain, après qu’Alger ait chauffé le bendir deux mois auparavant ? L’«accord» symbolique d’Alger, à esprit saoudien, aura-t-il ainsi mis fin à deux années de guerre des prix imposée par le royaume wahhabite aux schistes américains ? L’Opep réussira-t-elle, enfin, à concrétiser ses ambitions de faire monter les prix du baril à 50-60 dollars à l’issue de la réunion de Vienne ? Vraisemblablement, rien de certain car à défaut de pouvoir imposer un marché de type «producteur-vendeur», comme par le passé, pour augmenter leurs revenus brisés par les schistes depuis juin 2014, les pays de l’Opep, qui contrôlent pourtant 70% des réserves et 40% de la production mondiales, sont en train de recoller les morceaux avec le recours à l’austérité, aux comptes domestiques et à l’endettement international.
L’Arabie Saoudite, premier exportateur du monde, qui dispose des deuxièmes réserves prouvées de la planète et qui assure 30% de la production de l’Opep, constitue le baromètre de mesure de l’impuissance de l’organisation à réguler le marché. Avec une fonte des réserves de change de 737 milliards de dollars en 2014 à 546 milliards de dollars en septembre 2016 et un déficit budgétaire qui, jusqu’ici, avoisine les 90 milliards de dollars pour 2016, le leader du cartel a entrepris des mesures draconiennes par la diminution de 20% des salaires de ses ministres, l’introduction de nouvelles taxes, l’augmentation des prix de l’électricité et du carburant, la suppression des subventions, ainsi que l’annulation de projets d’environ 266 milliards de dollars. Malgré un faible coût de production (9,5 dollars/baril), l’un des plus bas au monde, un prix de 66 dollars le baril est devenu désormais le seuil de rentabilité du pétrole saoudien.
Le gouvernement a également eu recours aux prêts extérieurs qui ont cumulé 100 milliards de dollars. Economiquement affaiblie, l’Arabie Saoudite est-elle réellement revenue à la raison en reconnaissant sa défaite contre le pétrole de schiste ? Une guerre qui n’était en fait qu’un baroud d’honneur pour défendre sa propre part de marché puisque lors de la réunion d’Alger, le 28 septembre dernier, les Saoudiens ont subitement surpris par leurs concessions envers Téhéran en proposant de réduire leur production de 500 000 barils par jour (b/j) (de 10,2 à 9,7 millions b/j) contre un gel iranien autour de 3,7 millions b/j tout en acceptant de geler également celle de l’Opep entre 32,5 et 33 millions b/j après une coupe globale de 750 000 b/j dès la réunion du 30 novembre 2016 à Vienne.
Cette réduction constituera une première depuis 2008 mais, comme «donation» du royaume, elle ne touchera pas le Nigeria et la Libye, pays très affectés par les conflits internes, comme si les Saoudiens, avec le départ à la retraite de l’ancien ministre du Pétrole, Ali Al-Naimi, en mai dernier et son remplacement par Khalid Al-Falih, veulent ressouder le cartel qu’ils ont brisé deux années durant et éviter d’être désignés comme les destructeurs d’une organisation qui a beaucoup perdu de sa crédibilité et de son influence. Des «faveurs» saoudiennes répondant à leurs intérêts mais qui n’ont pas manqué de séduire et le marché et Alger qui en a fait des siennes.
En effet, rien qu’à ce stade, et sans décision concrète à la réunion d’Alger, les prix, aidés par un recul à la fois des stocks et des forages américains puis par les déclarations alléchantes du ministre russe de l’Energie, Alexandre Novak, à Istanbul, en marge du 23e Congrès mondial de l’énergie du 10 au 13 octobre, sont montés jusqu’à 53 dollars avant de se replier. Peut-on dire que les prix attendent la mise en application de l’esprit d’Alger à Vienne, pour se propulser vers les 60 dollars comme ambitionné par l’Opep ? Cela paraît difficile dans la durée, au vu de l’évolution des choses depuis la réunion d’Alger. J’ai déjà eu l’occasion d’augurer à ce sujet (ma contribution dans Le Soir d’Algérie du 21 septembre 2016 puis mon interview accordée à El Watan du 3 octobre 2016) que même si les murmures de la réunion d’Alger feront grimper, un tant soit peu les prix, ces derniers finiront par rebrousser chemin quelques jours après, et c’est ce qui est arrivé.
En effet, depuis l’avortement des réunions techniques Opep – non-Opep, les 28 et 29 octobre, les prix ont chuté jusqu’à 44 dollars pour le Brent et 43 dollars pour le WTI, leurs plus bas niveaux depuis le printemps dernier. Sauf revirement de la situation par une réelle volonté de l’Opep à se ressaisir, le marché, qui a ramassé plus d’ingrédients baissiers qu’haussiers, pourrait s’effondrer à l’issue de la réunion de Vienne et retrouver un plancher côtoyant celui de janvier 2016. La rencontre informelle d’Alger était une chose, celle ordinaire et décisive de Vienne en sera une autre.
Entre-temps, les choses ont vite évolué à la disgrâce des prix : augmentation de la production Opep, disputes entre les membres, réticence des non-Opep et croissance de leurs niveaux de production, émergence, à nouveau, de la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, résultats des élections présidentielles américaines, etc.
Une production Opep en hausse
La Libye et le Nigeria viennent de porter leurs débits respectivement à 590 000 b/j (contre 300 000 b/j en septembre) et 2,1 millions b/j (contre 1,38 million b/j en septembre). Après la fin de travaux de maintenance, l’Angola augmentera sa production de 230 000 b/j vers fin novembre, l’Iraq qui pompait 4,5 millions b/j en septembre est actuellement à 4,77 millions b/j et vient de demander, avec insistance, à être exempté du fait de son engagement à combattre l’Etat islamique, d’autant plus que Bagdad s’est endetté auprès du FMI, l’été dernier, d’un montant de 5,3 milliards de dollars comme aide pour combattre l’Etat islamique. De plus, l’Iraq, avec ses contrats de services, éprouve un besoin urgent de rémunérer ses partenaires étrangers. Toutefois, le ministre irakien vient de lâcher du lest en annonçant que la production de son pays ne peut en aucun cas revenir en arrière, à moins de 4,70 millions b/j.
Avec l’augmentation de la production de l’Iran, de la Libye, du Nigeria, non concernés par la réduction, et celle de l’Iraq, l’Opep a pompé 33,7 millions b/j en octobre (contre environ 33,4 millions b/j en septembre) et pourrait atteindre 34 millions b/j d’ici la réunion de Vienne. La coupe de 750 000 b/j évoquée à Alger devient de fait obsolète et insuffisante.
Un petit calcul montre que l’Opep doit relever cette coupe d’au moins 500 000 b/j, ce qui la porte à environ 1,25 million b/j pour tenter de rester dans la fourchette 32,5 à 33 millions b/j et équilibrer un peu le marché. Mais les productions Opep (pays exemptés) et non Opep continueront à augmenter après la réunion de Vienne et l’effet de cette coupe, quelle qu’elle soit, s’amenuisera rapidement dans le temps.
Un gros sacrifice, épargnant le Nigeria, la Libye, l’Iran et probablement l’Iraq, reste donc à faire et mettra sous pression visiblement les pays du Conseil de coopération du Golfe, membres de l’Opep (Arabie Saoudite, Koweït, Emirats arabes unis et le Qatar) qui contrôlent 55% de la production du cartel et tout particulièrement l’Arabie Saoudite qui se propose de prendre en charge 60% de la coupe initiale de l’organisation, arrêtée à Alger. C’est vrai que la toute dernière intention du royaume d’augmenter les prix de son brut sur le marché asiatique, où il accordait des rabais, pourrait signifier son intention de diminuer son plateau mais cette réduction est, de toutes les façons saisonnière et liée, en partie, au déclin de la demande domestique pour les besoins de la climatisation en fin de l’été.
Cela dit, si le royaume se propose de réduire sa production d’environ 500 000 b/j, ce n’est évidemment pas pour les seuls beaux yeux de l’Opep car cette diminution de la demande interne sera tout simplement injectée dans les exportations au cas où le royaume décide de maintenir son niveau de production pour défendre sa part de marché. D’ailleurs, le ministre du Pétrole saoudien vient d’avertir le nouveau président américain, Donald Trump, de tout arrêt des importations du pétrole saoudien.
L’Arabie Saoudite reste en effet le plus grand exportateur du Moyen-Orient vers les Etats-Unis avec un million b/j sur un total de 2 à 3 millions b/j. Si l’Iran, les non-Opep, et notamment la Russie, ne veulent pas baisser leurs productions, il est difficile de voir l’Arabie Saoudite faire le «sale boulot» et abandonner sa part de marché en diminuant la sienne, du jour au lendemain, de 10,2 à 9,7 millions b/j.
La rétractation des non-Opep
Le souhait du cartel et de l’Arabie Saoudite est de voir les producteurs non Opep apporter concrètement leur coopération mais jusqu’ici le soutien de ces derniers s’est limité à «saluer toute mesure permettant de stabiliser le marché», un «after you» très explicite. À la réunion d’Istanbul du 10-13 octobre, seule la Russie s’est intéressée aux discussions avec l’organisation tandis que les pays producteurs (Russie, Azerbaïdjan, Brésil, Kazakhstan, Mexique et Oman) ayant pris part à la réunion technique du 30/10/2016 à Vienne avec le cartel ont décliné tout engagement de leur contribution. Ils ont même boosté leurs productions, à l’image de la Russie (11,2 millions b/j), du Kazakhstan avec le démarrage d’un grand gisement en mer caspienne ou du Brésil dont la production vient de grimper à 2,7 millions b/j. La mer du Nord n’est pas en reste. La production y est montée de 360 000 b/j et les exportations devront augmenter de 10% de mois en mois pour un objectif de 2,16 millions b/j à décembre prochain.
Depuis la réunion d’Alger, et dès que les prix ont franchi les 50 dollars, en octobre dernier, le nombre d’appareils de forage aux Etats-Unis s’est enrichi de quelques dizaines d’unités, rajoutant quelque 200 000 b/j à la production américaine qui a contribué au grossissement des stocks, cumulant jusqu’ici près de 490 millions de barils contre 468 millions en octobre, bien que renfloués par les importations de 2 millions b/j durant ces dernières semaines. Toutes ces augmentations de production (Opep et non Opep) vont à contre-courant de la campagne menée par l’organisation dans le but de réduire l’offre et booster les prix. Quant à l’idée de l’Opep d’inviter aussi les Américains à la réunion de Vienne, elle est désormais une fiction avec Donald Trump comme nouveau président. Pis encore, les déclarations de ce dernier au sujet de son programme énergétique viennent de jeter davantage d’ombre sur l’issue de la réunion de Vienne, voire sur le devenir court à moyen terme du marché. À Vienne, le cartel se verrait ainsi contraint à prendre, en solo, le taureau par les cornes s’il veut faire de la réunion d’Alger ce qu’on continue de qualifier d’accord historique.
La rébellion intra-Opep
L’autre gros problème est intra-Opep. Il sera question, à Vienne, de s’entendre sur «qui doit produire quoi» sachant que des membres, et pas des moindres, ont soit refusé de réduire leurs productions (Iran, Iraq) soit rejeté les niveaux actuels de leurs productions tels qu’estimés par le comité d’experts du cartel (Iraq, Venezuela).
Les niveaux avancés par ce comité étant inférieurs à ceux déclarés par les membres, la question va certainement alimenter le fleuve des facteurs fragilisant l’aboutissement de la réunion de Vienne d’autant plus que l’Opep vient de sommer ses membres d’accepter les chiffres avancés par son comité. Si ces membres campent sur leurs positions, ce sera le tiers du cartel (avec le Nigeria et la Libye exemptés) qui sera «out» d’une coupe alors que ces membres contrôlent 34% de la production de l’organisation. Pour compenser l’inévitable manque à gagner, l’Opep de l’Arabie Saoudite semble compter sur la Russie (qui produit autant que l’Iran, le Nigeria, le Venezuela, l’Algérie et l’Equateur réunis) mais les Russes semblent peu disposés à aller au-delà d’un gel.
Dans le même temps, les choses se compliquent à l’approche de la réunion avec cette rivalité qui vient de faire surface entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Cette dernière menaçait, il y a quelques jours, de se retirer de la réunion et d’augmenter sa production de 11 à 12 millions b/j, si l’Iran refuse de geler la sienne à 3,7 millions b/j, niveau arrêté par l’Opep alors que les Perses tiennent à tout prix à atteindre 4 à 4,2 millions b/j avant d’accepter le gel bien qu’ils viennent de prendre note, à Doha, le 18 novembre dernier, de la nouvelle proposition de l’Opep de geler leur production à 3,93 millions b/j.
Depuis la réunion d’Alger, les facteurs influant sur le prix du baril (état des stocks, nombre d’appareils de forage en activité aux Etats-Unis, niveau de production américaine et dans le monde, déclarations des ministres Opep et non Opep et notamment celles du ministre russe, la force du dollars, etc.) sont tantôt favorables, tantôt défavorables, mais à la veille de la réunion cruciale de Vienne, la composante baissière l’emporte largement sur celle haussière.
La chute des prix du baril notée début novembre est la plus accentuée depuis janvier 2016. Le défi de l’Opep est de renverser cette tendance par un éventuel accord dont les effets restent tributaires du niveau de diminution qui sera arrêté et de son respect.
Les trois scénarios possibles
Le scénario le plus pessimiste serait un remake de Doha ou une coupe ne dépassant pas 500 000 b/j mais cette option reste normalement très peu probable car l’Opep et condamnée à sortir avec un accord de coupe plus conséquente au risque de voir les prix dégringoler immédiatement sous la barre des 40 dollars.
Le second scénario serait un accord sur une modeste et insuffisante réduction entre 750 000 b/j et un million b/j. Les prix pourront osciller entre 50 et 55 dollars.
Le troisième scénario, le plus ambitieux, est celui d’une réduction dépassant un million b/j avec ou sans les non-Opep.
Auquel cas, les prix pourront remonter vers 60 dollars mais ce scénario, en cas d’occurrence, sera certainement le moins respecté par les membres du cartel. Tous les scénarios sont juste la réaction immédiate du marché à la réunion de Vienne et auront chacun, bien évidemment, une durée de vie limitée qui évoluera en fonction du climat au sein de l’organisation et de l’ampleur des fluctuations de l’offre et de la demande qui restent sous le contrôle de la croissance mondiale et de l’industrie des schistes.
Parmi ces trois scénarios, celui d’une réduction insuffisante (entre 750 000 et un million b/j) semble le plus probable au vu de la situation actuelle et des perspectives qui se profilent pour les court et moyen termes. Mais cette prétendue réduction ne tardera pas à être compensée par les augmentations des productions des membres exemptés et des pays non Opep, avant même la fin de la période de gel qui sera fixée par le cartel (entre 6 et 12 mois). Il ne suffit pas de sortir avec un accord de réduction, mais que cette réduction soit une solution efficace en terme non seulement de stabilisation des prix autour d’un seuil momentanément acceptable mais aussi et surtout en terme d’augmentation durable, voire irréversible, des prix. L’écart moyen actuel entre l’offre (95,5 millions b/j) et la demande (94 millions b/j) nécessite une réduction mondiale de 1,5 million b/j.
En l’absence de contribution des producteurs non Opep, cela reste d’ores et déjà hors de portée du cartel qui n’est plus en mesure de réguler le marché tant que les gisements de schiste américains tiennent encore bon.
En effet, en cas d’un accord Opep concluant, l’activité forage et la production des schistes rebondiront davantage à la défaveur des prix du baril. Mais la grande maîtrise des coûts par les producteurs texans les autorise à forer de gros gisements à des prix du baril assez bas qui n’entrent pas dans les frais des pays du cartel, financièrement à genoux.
À titre indicatif, le bassin Permien, à l’ouest du Texas, recèle à lui seul pas moins de 20 milliards de barils de pétrole de schiste techniquement exploitables et produit 2 millions b/j, soit deux fois les réserves et la production algérienne.
C’est dire à quel point il est difficile pour l’Opep de faire augmenter les prix sans qu’il y ait une riposte immédiate des forages et de la production des schistes pour les faire redescendre. Pour l’heure, dans un premier temps, c’est à Vienne, le 30 novembre prochain, que nous saurons si la réunion d’Alger était une vraie réussite ou un faux espoir.
Par ailleurs, la politique actuelle de l’Opep étant de baisser et geler la production pendant six à douze mois, il reste possible que dans un ou deux mois, une fois Donald Trump à la Maison-Blanche, les prix vont augmenter ou chuter indépendamment de la coupe du cartel. Celle-ci n’aura servi à rien.
M. S. B.