Dr Mohamed Said Beghoul: «L'intensification de l'exploration pétrolière n'est pas une panacée»
Date
23 juin 2015
Source
El Watan, édition du 23 juin 2015
Depuis l’indépendance de notre pays, son économie a toujours été gouvernée, à plus de 95%, par les revenus des hydrocarbures. Et voilà que l’économie de rente, comme une rage de dent, vient de faire mal, très mal cette fois-ci, au pays, en l’immergeant dans une autre crise financière.
Sans entrer dans les détails, depuis juin 2014, le prix du baril de pétrole a chuté de 50%, les exportations d’hydrocarbures de 22% depuis l’année 2010, les recettes d’exportation d’environ 40% durant les quatre premiers mois de l’année 2015 comparativement à la même période de 2014, la production globale de 21 % depuis 2007. Pis encore, un taux de renouvellement des réserves issues des découvertes annuelles qui peine à franchir les 20 %.
Force est d’admettre que pour apaiser ses crises financières, comme celle qui sévit actuellement , l’Algérie, pays mono exportateur, ne peut compter sur autre chose que sur les revenus des hydrocarbures. Cela consiste à trouver du pétrole pour faire de l’argent et faire de l’argent pour trouver du pétrole «To find oil to make money & to make money to find oil», une véritable roue de Deming qui a bien fonctionné entre 2005 et juin 2014 quand elle a amélioré la qualité financière du pays. Aujourd’hui, la roue vient de faire marche arrière et la boucle reste difficile à boucler quand le prix du baril et les volumes exportés ne l’autorisent point mais tout en restant, à en croire le premier ministre, Abdelmalek Sellal, l’unique moyen pour soulager la douleur. En effet, lors de la rencontre avec les nouveaux responsables du secteur de l’énergie et des finances, en date du 25 mai dernier, le premier ministre, conscient de la gravité de la situation actuelle et à venir, n’a pas hésité à « solliciter » les hydrocarbures à la rescousse en demandant à « Sonatrach de s’investir davantage dans l’exploration » par l’augmentation de la densité de forages au kilomètre carré, estimant qu’avec 14 forages /10000 Km2, le domaine minier algérien reste sous- exploré. Comme si l’intensification de l’effort exploration, dès aujourd’hui, empêchera les caisses de l’état de se vider d’ici à 2019 avec moins de 40 milliards de dollars, voire moins de 10 milliards de dollars comme réserves de change. Le pays a besoin d’argent frais et le pétrole est une industrie de longue haleine. Forer et découvrir aujourd’hui c’est exploiter dans 10 ans au meilleur des cas. Aussi, il ne suffit pas de faire des trous pour combler des lacunes et répondre aux besoins du pays. Il est vrai que si l’on ne fore pas on ne découvre pas mais il a été constaté, de par le monde, que l’augmentation du nombre de forages n’est pas systématiquement synonyme de succès. Aux États-Unis, par exemple, les réserves additives ont chuté de moitié pour un même effort d’exploration et les américains l’ont bien compris depuis leur pic pétrolier de 1970. Ce qui justifie, un peu, leur rabattement sur le non conventionnel. Pour le domaine minier algérien, les statistiques de la décennie écoulée nous enseignent qu’ il y a 80% de chance de ne rien trouver même en intensifiant l’effort exploration. Le taux de succès de l’exploration pétrolière en Algérie a atteint deux pics historiques : l’un dans les années 1950-1960, avec la découverte des principaux gisements géants et avec très peu de forages, l’autre dans les années 1990, avec le partenariat quand ce taux a été porté à 30-40% grâce aux résultats dans le bassin de Berkine. Le taux de succès moyen actuel, véhiculé depuis une décennie, est tombé à 20% seulement. Et c’est durant cette décennie qu’on a foré le plus et découvert le moins en volume.
Ainsi, forer plus de puits pour découvrir plus de pétrole et de gaz relève de l’utopie. On ne négocie pas avec la nature car la géologie pétrolière n’obéit pas à la règle de trois. Selon les rapports annuels de Sonatrach, le nombre de puits forés durant la décennie écoulée a été multiplié par deux et le volume découvert divisé par deux. Où réside donc l’aberration ? On se fixe un objectif de découvrir, par exemple, 500 millions de tonnes en place de pétrole par an. Se basant sur un taux de succès historique des forages d’exploration en Algérie, qui avoisine 20% de nos jours, et une taille moyenne de 30 millions de tonnes par découverte, combien doit-on forer de puits pour atteindre l’objectif ? Un simple calcul nous dit qu’il faut forer au moins 85 puits pour faire 17 découvertes totalisant les 500 millions de tonnes et le tour est joué. Il est ainsi clair que pour découvrir un milliard de tonnes de pétrole il va falloir forer 170 puits et s’attendre à 34 découvertes, etc. Une approche devenue complètement abracadabrante de nos jours, avec la maturité du domaine minier et l’évolution des courbes d’écrémage, d’une part, et de déclin, d’autre part, de nos différents bassins. L’analyse de ces courbes, devenues assez matures, fait ressortir des zones du domaine minier algérien où tout effort de forage d’exploration ne serait que vain et des zones où un effort d’exploration optimal resterait à fournir. Il s’agit donc de bien forer et non de forer plus. L’exploration pétrolière est comme la chasse au gibier. Pour y réussir il faut tirer une balle par gibier plutôt que bombarder la forêt. Ainsi, le concept de la faible densité de forage en Algérie, de seulement 14 puits /10 000 Km2, contre une moyenne mondiale de 105 puits/10 000 Km2, selon le premier ministre, ne saurait justifier l’intensification, les yeux bandés, de l’effort forage d’autant que les rapports statistiques spécialisés avancent une moyenne mondiale, hors États-Unis, de 15 puits /10 000Km2, faisant donc de l’Algérie un des pays les plus forés de la planète si la densité de 14 puits/10 000 Km2 concerne uniquement les forages d’exploration. La densité mondiale présumée de 105 puits/10 000 Km2 est loin de servir de bonne référence puisqu’elle tient compte de la forte densité, très particulière, aux États-Unis, qui avoisine 550 puits/10 000 Km2. En plus, l’effort exploration doit être optimisé du fait qu’il est loin de pouvoir, à lui seul, reconstituer les volumes produits annuellement. Selon les rapports du groupe PFC-Energy, consultant international en énergie, appuyés par les majors pétroliers, l’activité exploration est sensée devoir contribuer, annuellement, à hauteur de 30% au renouvellement des volumes produits et les 2/3 devraient provenir des gisements anciens (révision de la cartographie avec la nouvelle sismique, les possibilités des extensions, amélioration des taux de récupération secondaire et tertiaire, etc. ).
Jusqu’ici, la politique de renouvellement des réserves en Algérie est essentiellement basée sur l’exploration géologique et géophysique, qui obéit toujours à des concepts et dogmes pour le moins révolus, ce qui explique la faiblesse de la taille des découvertes réalisées annuellement malgré leur nombre élevé. Cela dénote également la non capitalisation des courbes d’écrémage et de déclin des différents bassins. En conséquence, les réserves additives issues de l’effort exploration ne peuvent être que marginales comme en témoignent les résultats sur les 15 années écoulées qui ont cumulé une production globale d’environ 3 milliards de tonnes-équivalent pétrole (Tep) et un volume découvert en place de 1.7 milliard de Tep, mis en évidence par quelques 220 découvertes, soit une modique moyenne de 8 millions de Tep en place par découverte, volume côtoyant le seuil de rentabilité économique en récupérables, et un taux de renouvellement des réserves variant entre 13 et 20% seulement. Depuis les années 1990, plus de 75% des découvertes ont moins de 50 millions de Tep en place, 50% ont moins de 20 millions et seulement 4 découvertes (en Association) ont plus de 100 millions de Tep en place.
Le premier ministre a donc mis la barre trop haut en instruisant Sonatrach sur « la nécessité d’accroître la production d’hydrocarbures «coûte que coûte» ». Le challenge de cet impératif semble en effet difficile si les réserves additives issues de l’exploration et de celles «dormantes» , non encore développées, ne suffisent pas pour venir à bout des déclins rapides des anciens gisements. Citons juste l’exemple de l’année 2013 quand les nouveaux gisements de Menzel Lejmet et de Gassi Touil (gaz), d’El Merk et d’une unité de Hassi Messaoud (GPL) sont entrés en exploitation mais la production globale a chuté de 4% par rapport à celle de l’année 2012. N’est-ce pas énigmatique?
Les accroissements des réserves et de la production prendront certainement plus de temps et ne seront possibles et conséquents qu’avec une politique de recherche mieux réfléchie et une gestion plus optimale des gisements en exploitation. Si le premier ministre tient à ses instructions pour des résultats à même de redresser la situation actuelle, comme il le souhaite, il va falloir qu’il autorise les moyens nécessaires non en termes de finances mais en termes de vision stratégique à adopter pour y arriver. La priorité n’est pas de forer tant de puits par an mais de se fixer des objectifs atteignables et réalistes en matière de réserves additionnelles mobilisables et conséquentes pouvant booster, à moyen et long termes, la production, les exportations et les revenus: c’est ce qu’on appelle un résultat. Ne perdons pas de vue que les obligations de résultats doivent primer sur les obligations de réalisations physiques. Très souvent, les rapports annuels de Sonatrach s’empressent de vanter le taux de réalisations physiques (nombre de puits forés, nombre de découvertes, kilométrage sismique,…), voire les réalisations en manifestations socioculturelles et sportives, pendant que le volume des réserves additives, non annoncé, de surcroît, dans certains rapports, demeure très faible comparativement aux volumes produits et aux investissements engagés.
Les objectifs assignés à Sonatrach par le chef du gouvernement, bien que non chiffrés, ne peuvent se concrétiser, non plus, sans l’engagement d’une expertise de qualité notamment en matières de connaissance du terrain, de la maîtrise du risque et des coûts, une expertise dotée d’un bon management des projets »core business » de l’entreprise, mais aussi d’un management des hommes en charge de les faire aboutir dans les délais et les coûts arrêtés.
A ce titre, je trouve utile de rappeler qu’en 2005, Sonatrach s’est aussi fixé des objectifs à atteindre et qui consistaient à forer 100 puits d’exploration par an à l’horizon 2010, augmenter les réserves de 6% par an (sur recommandations de Petroleum Finance Company –PFC Energy en 2004), produire 2 millions de barils/jour de pétrole et mobiliser 50 TCF de gaz ( environ 142 milliards de mètres cubes ) à l’horizon 2015. A l’échéance, et malgré l’embellie financière de la décennie écoulée, aucun objectif n’a été atteint. Pis encore, les voyants sont au rouge, aujourd’hui. Mauvaises prévisions ou mauvaise gestion, personne, sur la chaine, n’a tenu compte des moyens de sa politique, comme personne n’a trouvé utile de dresser un bilan post mortem pour comprendre les raisons de ce qui n’a pas marché, de l’échec du livrable. Qui souhaite revivre les erreurs du passé ? Certainement pas le premier ministre.
Ainsi, le meilleur accompagnement d’une telle mission stratégique à objectifs nobles et sensibles demeure la qualité des ressources humaines, du socle au sommet de la pyramide, par leur engagement, intégrité, fidélité et adhésion au projet de l’entreprise, au service de leur pays. En plus de la rémunération, les travailleurs et les travailleuses d’aujourd’hui aspirent, plus que jamais, le droit à la rétribution (reconnaissance et récompense), la motivation par l’écoute, la responsabilisation et l’implication dans les décisions, c’est-à-dire un management participatif où le leadership doit disposer des capacités requises pour mobiliser l’organisation autour d’un objectif en combattant la marginalisation, le rejet et le clanisme. C’est ce type de changement, qui faisait défaut, qui pousse les mêmes ressources humaines à développer, désormais, leur sentiment d’appartenance à une grande entreprise plutôt qu’à une grosse entreprise. Il est de nature qu’un changement soit imposé par des défaillances et si nous voulons changer en mobilisant les mêmes ressources, celles-ci doivent nécessairement changer…ou être changées. « Aucun problème ne peut être résolu sans changer l’état d’esprit qui l’a engendré ». (Albert Einstein).
M.S.B, 04 juin 2015