Dr Mohamed Said Beghoul: «Une hausse généralisée ne peut être la seule manière de rééquilibrer les finances»
Date
6 octobre 2015
Source
Interview accordée à El Watan, édition du 05/10/2015
Sachant que plus de la moitié des ventes de Sonelgaz va aux ménages, prévoir des hausses de tarifs pour les gros consommateurs et les industriels ne réduit-il pas l’étendue de la mesure ?
M.S.B. À en croire le ministre de l’énergie, cette hausse des tarifs de l’électricité et du gaz, prévue pour 2016, ne concerne pas le citoyen simple et ne touchera que les industriels et les gros consommateurs. Dans cette déclaration, on relève trois catégories de consommateurs, à savoir «le citoyen simple», «le gros consommateur» et l’«industriel». Tout le monde sait ce qu’est un industriel mais doit-on comprendre par «gros consommateur» le citoyen ayant la boulimie ‘’électrique’’? Auquel cas la quasi totalité des algériens sera soumise à une tarification progressive avec des paliers revus à la hausse.
La notion du «citoyen simple» se limitera ainsi au plus bas palier et la mesure aura touché tous les clients basse tension. En Algérie, la haute tension ne concerne, en effet, que 20% des clients qu’il est difficile de permettre à cette mesure de répondre efficacement aux objectifs visés. D’ailleurs, dans le cadre de la restructuration du groupe Sonelgaz, son premier responsable voit dans la réussite de cette restructuration la nécessité d’augmenter les tarifs, du moins graduellement, sans préciser pour quelle catégorie de consommateur. Ceci dit, tout porte à croire que l’étendue de la mesure concernera tous les clients.
– Une telle hausse ne sert-elle pas plutôt les finances de l’Etat à court terme que Sonelgaz qui réclame une hausse graduelle mais qui toucherait l’ensemble des consommateurs ?
M.S.B. C’est du pareil au même. Sonelgaz est une société par actions dont le propriétaire est l’État algérien qui doit tirer profit de toute action pourvoyeuse de richesse décidée par sa société. Mais Sonelgaz reste aussi une société commerciale qui doit dégager des bénéfices pour sa propre pérennité en tant qu’outil national de développement.
Toute chose égale par ailleurs, la hausse graduelle des tarifs, même sur l’ensemble des consommateurs, ne serait que légitime dans la mesure où les coûts de production augmentent d’année en année sans compter les ‘’déperditions’’ en relation avec les subventions, sources de gaspillage, et il n’est pas admis de travailler à perte. Les gains et les pertes d’une entreprise sont ceux du propriétaire. Donc dans une pareille conjoncture financière, assez morose, les retombées d’une décision de l’entreprise doivent profiter tant à l’entreprise qu’à l’État.
– Sonelgaz semble croire que la hausse des tarifs généralisée est la seule manière de rééquilibrer ses finances. Si les ménages devaient être touchés, quelle devrait être le niveau de la hausse qui ne pénaliserait ni les uns ni les autres? Une telle équation est-elle possible ?
M.S.B. De nos jours, le social est une affaire de l’État. L’entreprise, elle, a pour mission de créer de la richesse pour elle et pour le pays. Toutes les entreprises commerciales cherchent à hisser leurs chiffres d’affaires par le développement de nouveaux services, l’amélioration de la qualité, la conquête de nouveaux marchés, la fidélisation et le gain de nouveaux clients, etc. mais pas uniquement par l’augmentation généralisée des tarifs qui ne peut être la seule manière de rééquilibrer les finances, même si l’entreprise n’a pas de concurrents dans un marché où la demande des ménages est croissante.
Si l’on sait que les subventions en Algérie représentent près de 25 -30% du PIB et que certains produits énergétiques sont subventionnés à 70-75% de leurs prix réels (cas des carburants), le niveau d’une hausse éventuelle des tarifs doit obéir à une logique «gagnant-gagnant» qui ne pénalise personne. Mais une telle équation semble d’ores et déjà à deux inconnues et ne peut donc satisfaire systématiquement les uns et les autres. Une augmentation des tarifs de 10%, qui n’est autre qu’une réduction du taux de la subvention du 10%, sera très mal accueillie par le citoyen qui, longtemps habitué à un prix bas se considère lésé dans ses ‘’droits’’.
Il serait plus prudent de procéder à des réductions progressives, à un chiffre, des taux de subvention, sur plusieurs années, afin de préparer le citoyen à composer avec les réalités de l’heure car même si ce citoyen n’a pas raison de s’y opposer, il a toutes les raisons de nourrir la tension sociale. Son salaire est l’un des plus bas au monde.
Propos recueillis par Safia Berkouk