Le pic pétrolier algérien, illusion ou réalité ?
Date
22 août 2016
Source
Édition du 21/08/2016
Depuis le début du déclin de la production algérienne de pétrole, il y a environ une dizaine d’années, nombreux sont ceux qui ont attribué le phénomène à l’atteinte du fameux pic pétrolier, mais sans avoir fourni d’arguments étayant leur hypothèse. Pour rappel, un pic pétrolier est classiquement défini comme le moment où la production de pétrole passe par son maximum avant de commencer à chuter du fait de l’épuisement des réserves dont on dispose. La notion de pic pétrolier a été développée par le géophysicien américain, Marion King Hubbert, qui, dans les années 1940, avait affirmé que le profil de production d’une matière première, en général, suivrait une courbe en cloche et qui pourrait être symétrique dans certains cas. Il avait attiré l’attention des Américains, en 1956, que la production de leur pétrole passerait par son maximum aux alentours de l’année 1970 et commencera à décliner.
Cette prédiction, de «mauvais goût», n’a pas été prise au sérieux par les opérateurs et les officiels mais elle a fini par être vérifiée. En effet, en 1970, la production américaine a atteint un maximum de 11,3 millions de barils par jour ( Mbj) puis a commencé à diminuer. Depuis, la courbe a pris le nom de «courbe de Hubbert» et le moment où elle atteint son maximum le «pic de Hubbert», ou communément, le «pic pétrolier».
La production américaine n’a cessé de creuser le fond pour atteindre un plancher de 6,8 Mbj en 2008, ce qui a contraint le pays à exploiter le pétrole non conventionnel qui a rapidement boosté la production à 11,6 Mbj en 2014 avant de chuter, à nouveau, à 8,4 Mbj en août 2016. Comme principaux pays ayant franchi leur pic pétrolier, on peut citer les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Mexique, les Pays-Bas, le Canada, etc. En gros, le bloc de l’OCDE a atteint son pic vers l’année 2000 quand sa production a plafonné à 21 Mbj avant de baisser de 14%, à 18 Mbj en 2010. Mais la production de l’OCDE est, ensuite, remontée à un maximum de 22,5 Mbj en 2014 grâce au pétrole non conventionnel, ce qui pourrait être considéré comme un second pic pétrolier à composante essentiellement américaine (pic non conventionnel cette fois-ci) du fait qu’actuellement la production américaine vient de rechuter à environ 8,4 Mbj, soit un déclin de 27% en 2 ans.
Sur le plan mondial, les études de prédiction du pic pétrolier sont monnaie courante, mais jusqu’ici aucune d’elles n’a pu être confirmée ou vérifiée. Parmi les dernières études, citons celle de l’US Energy Information Administration (EIA) qui, dans son rapport Annual Energy Outlook, publié en 2009, prévoyait que la production mondiale commencera à baisser en 2012 avec 87 Mbj comme plateau maximal. Selon le même rapport, la production mondiale sera de 76 Mbj en 2016 et de 43 Mbj en 2030, dont 28% pour l’OPEP. Or, durant les 50 dernières années, la production mondiale n’a jamais cessé de croître d’environ 1% par an. Elle tourne aujourd’hui autour de 93 Mbj, si l’on rajoute le condensat.
Le pic pétrolier est ainsi repoussé dans le temps, de décade en décade, notamment grâce aux réévaluations à la hausse d’anciens gisements, l’accroissement du taux de récupération, la montée du pétrole non conventionnel et, à un degré moindre, aux nouvelles découvertes conventionnelles.
Par ailleurs, toute chute de la production n’est pas forcément significative d’un pic pétrolier si elle est provoquée par des facteurs occasionnels d’ordre technique ou stratégique (fermeture ou défaillance de centres de production, limite des capacités de production et obsolescence technologique en amont pétrolier, décision gouvernementale, stratégie du producteur, etc.), auxquels cas, le niveau de production pourrait augmenter, voire dépasser les plateaux précédents.
Le meilleur exemple vient du Venezuela dont la production a baissé de 3,7 Mbj dans les années 1970 à seulement 1,7 Mbj dans les années 1980 pendant que les réserves passaient de 10 milliards de barils à 55 milliards de barils et tout récemment, entre 2004 et 2012, la production vénézuélienne a encore chuté de 3,3 Mbj à 2,7 Mbj, mais ce déclin de 18% n’avait rien d’un pic pétrolier géologique puisque les réserves ont plus que triplé sur la même période (passant de 87 milliards de barils à 297 milliards de barils, incluant le non-conventionnel des sables bitumineux). Ainsi, on ne peut parler du pic pétrolier d’une région, d’un bassin, d’un pays,… de la planète que si le déclin est causé par l’épuisement naturel ou géologique des réserves et ressources «ultimes», c’est-à-dire qui représentent la somme des volumes déjà consommés, ceux prouvés disponibles et ceux restant à découvrir, autrement dit tout ce que le sous-sol en question a généré.
Tant qu’un domaine minier n’a pas été totalement exploré et toutes ses ressources mises en évidence, la notion du pic pétrolier géologique reste illusoire car il pourrait s’agir d’un pic relatif aux seules réserves prouvées en exploitation.
Qu’en est-il au juste pour l’Algérie ? Quelles sont les réserves prouvées du pays ? C’est pour quand le pic pétrolier algérien ? En quelle année l’Algérie ne produirait plus de pétrole ? Des questions, parmi d’autres, que se posent le citoyen et l’officiel, notamment depuis la chute du prix du baril en juin 2014. Faisons une petite analyse, loin des discours chimériques et triomphalistes, et des propos alarmistes et essayons de répondre objectivement à chacune des questions. L’analyse, qui ne concernera que le pétrole brut (incluant parfois du condensat), est basée sur l’historique des profils de production et de consommation de 1963 à 2015 et le taux de renouvellement des réserves depuis l’année 2000, année à partir de laquelle les données publiques sont plus disponibles et fiables.
La production pétrolière de l’Algérie indépendante était de 24 millions de tonnes en 1963. Elle a atteint son premier plateau de 54 millions de tonnes en 1978, puis a chuté à 34 millions de tonnes durant la période 1983-1995. Ceux qui auraient affirmé que le pic pétrolier algérien a été franchi en 1978 auraient eu tort puisque la production a repris son ascension et a atteint un second plateau, le plus haut jusqu’ici, avec 64 millions de tonnes en 2006 (1,2 Mbj).
Depuis l’année 2006, la production a, certes, entamé une descente jusqu’à 49-50 millions de tonnes en 2013-2014, soit un déclin de 22% en l’espace de 8 ans.
Qu’en sera-t-il pour les années à venir ? Nous envisageons deux scénarios possibles en commençant par le pessimiste et qui suppose que le pic franchi en 2006 correspond aux réserves et ressources totales que recèle le domaine minier national et même une reprise épisodique de la production dans le court terme, avec l’entrée en lice de gisements, qui seront développés entre 2016-2019, ne changera pas grand-chose. Aussi, compte tenu du fait que ces gisements sont pour la majorité à gaz (Tinhert, Gassi Touil, Ahnet, Touat, Reggane Nord, Isarène,…), l’augmentation éventuelle de la production du pétrole brut va être insignifiante à l’horizon 2020. Si ces rares gisements additifs arrivent tout de même à enrayer la chute de la production du brut, ça le serait momentanément sur 2 ou 3 années avant de renouer avec le déclin puisque les découvertes n’arrivent plus à alimenter le fleuve des réserves prouvées. Le plateau de production de pétrole brut à l’horizon 2020 sera vraisemblablement inférieur à celui actuel (moins de 50 millions de tonnes) et il sera difficile de revenir à moyen-long termes au plateau de 2006 si les découvertes continueront à générer des volumes marginaux.
Si cette chute ininterrompue de 2 à 3% par an, observée sur une décennie, perdure dans le temps, en 2020, la production qui descendra à 35 millions de tonnes sera destinée à 60% à la consommation interne qui, elle, avoisinera les 22 millions de tonnes. Il est à signaler que le taux d’accroissement de la consommation nationale a subitement grimpé de 2% par an entre 1980 et 2000 à 8% par an entre 2000 et 2015.
La consommation actuelle, qui est de 18 millions de tonnes, sera au moins de 25 millions de tonnes en 2025, année probable de l’arrêt des exportations du pétrole brut au profit des besoins internes puisque la production sera également de 25 millions de tonnes seulement à cette échéance.
Le recours à l’importation s’imposerait donc à partir de 2030 quand la production chutera à une douzaine de millions de tonnes par an et ne couvrira que 40% des besoins internes qui grimperont à 32 millions de tonnes. Se basant sur ce scénario, plus réaliste que pessimiste, le pétrole algérien cesserait de couler en 2035, soit dans une vingtaine d’années, contrairement à l’approche simpliste qui estime la durée de vie des réserves à une trentaine d’années.
En effet, officiellement, la production actuelle étant proche de 1 Mbj et les réserves prouvées sont de 12 milliards de barils récupérables. Selon les rapports annuels «statistical-review-of-world-energy» de BP, ce chiffre n’a pratiquement pas changé depuis le début des années 2000. Cela signifie que le taux de renouvellement des réserves, c’est-à-dire le rapport entre le volume découvert (récupérable) et celui produit annuellement est proche de l’unité, ce qui ne semble pas être le cas.
La production cumulée depuis l’année 2000 est d’environ 755 millions de tonnes (5,3 milliards barils) tandis que l’apport cumulé des nouvelles réserves (prouvées et probables) découvertes sur la même période avoisine les 1000 millions de tonnes en place (7 milliards barils). Si nous considérons un taux de récupération moyen de 20% (ce qui est la norme actuelle admise), le taux de renouvellement des réserves sera de 26% et les réserves prouvées actuelles ne sauraient donc dépasser les 8,5 milliards de barils.
En quelle année, l’Algérie ne produirait plus de pétrole ? Le concept de Hubbert suppose que sa courbe peut avoir une allure symétrique, c’est-à-dire que le temps écoulé entre le début de la production et le pic est sensiblement le même que celui entre le pic et le moment de l’épuisement total des réserves. De là, en admettant que la production en Algérie a débuté potentiellement vers l’année 1960 et que le pic présumé a été atteint en 2006, soit une quarantaine d’années plus tard, le pétrole algérien cesserait de couler vers l’an 2040.
Mais les observations pratiques sur des champs pétroliers montrent que compte tenu des besoins croissants de consommation et la diminution de la taille des découvertes, la courbe de Hubbert n’est pas nécessairement symétrique et le temps écoulé entre le pic et le moment de l’épuisement total des réserves est beaucoup plus court que celui entre le début de production et le pic.
L’horizon 2040 serait ainsi le «best case» pour la production algérienne et l’horizon 2035 semble le plus indiqué pour la fin du pétrole algérien.
Terminons tout de même par un scénario optimiste qui suppose que le domaine minier national est encore sous-exploré (comme il est toujours dit dans le site web de Sonatrach) et que le pic en question, franchi en 2006, correspondrait uniquement aux réserves prouvées en exploitation.
Cela suppose qu’un effort de recherche judicieux permettra de mettre en évidence de nouvelles réserves à même de hisser durablement la production à des niveaux jamais atteints auparavant. Mais si un plateau historique n’est pas rattrapé, voire dépassé, durant une quinzaine d’années (durée moyenne raisonnable entre une découverte et son first oil), on peut considérer que le domaine minier a bel et bien franchi son pic pétrolier géologique.
Ainsi, pour l’Algérie, si d’ici à 2020 la production restera toujours inférieure à celle du pic de 2006 (64 millions de tonnes), il y a de fortes chances pour que ce plateau ne se reproduira jamais, auquel cas le pays aurait ainsi franchi effectivement son pic en 2006, d’autant plus que les nombreuses découvertes réalisées chaque année n’arrivent toujours pas à faire remonter la pente des réserves ni celle de la production depuis plus d’une décennie. Même si la production va augmenter sensiblement de temps à autre. Tant que le plateau de 2006 n’a pas été rattrapé ou dépassé, nous pouvons dire que les modestes volumes découverts annuellement depuis une quinzaine d’années ne seraient que des volumes d’appoint («le fond de la marmite») et le pays vit actuellement ses dernières «années pétrole».
M. S. B.