Dr Mohamed Said BEGHOUL: "Que faut-il attendre de la rencontre d'Alger ?"
Date
21 septembre 2016
Source
Le Soir d'Alger, Edition du 21/09/2016
OPEP: Que faut-il attendre de la rencontre d’Alger ?
Par Dr Mohamed Said Beghoul(*)
Du 26 au 28 septembre 2016 se tiendra, à Alger, la 15ème réunion ministérielle du Forum international de l’énergie (IEF) qui regroupe plus de 70 pays, dont ceux de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). L’objectif de cette rencontre biennale est la coopération entre les pays producteurs et consommateurs d’énergie sur des questions d’intérêt commun en la matière.
Les membres de l’OPEP profiteront de l’occasion pour tenir une réunion informelle, élargie à des non-OPEP, dont la Russie, pour essayer de trouver un consensus pour atténuer la surabondance de l’offre qui pénalise les cours du baril.
Cette réunion, sur fond de crise pétrolière, est vue par beaucoup comme importante du fait que les pays producteurs, y compris l’Iran, semblent avoir convenu d’accorder, enfin, leurs violons pour un gel de la production d’autant que cette information semble avoir fait grimper les prix de 5% dès son annonce vers le 8 août dernier — ou est-ce une simple coïncidence —, tandis que d’autres analystes n’y voient qu’un remake des réunions de Doha et de Vienne d’ avril et juin derniers.
En réalité, il n’y a de plus importantes réunions OPEP que celles formelles, ordinaires et notamment extraordinaires ou urgentes, tenues dans un cadre strictement OPEP et surtout quand le prix du baril côtoie dangereusement le plancher. La rencontre de l’OPEP vers la fin septembre à Alger est, d’abord, en strapontin avec sa raison d’être qui est celle du Forum international de l’énergie (IEF), pendant que le prix du baril serait loin d’être alarmant comparé à ce qu’il était lors de la réunion avortée de Doha. Avec la présence de l’Iran, qui aura son mot à dire à Alger, tout se décidera entre ce pays, l’Arabie saoudite et la Russie, qui contrôlent 27% de la production mondiale pendant que chacun a ses raisons de produire encore davantage. Les autres pays de l’OPEP, dont l’Algérie, serviront de simples figurants au vu de leurs modestes contributions à la production. De ce fait, la rencontre d’Alger n’est pas aussi importante mais plutôt intéressante de par son suspens autour d’un résultat auquel on s’est habitué. La réunion d’Alger a deux manières d’échouer : soit il n’y aura pas de consensus sur le gel, soit il y aura un consensus mais qui sera sans effet sur l’amélioration des prix. Dans tous les cas, le gel n’est pas un succès en soi, comme le prétendent certains, et les raisons d’un nouvel avortement sont à chercher dans les ambitions des producteurs OPEP et non- OPEP.
Arabie saoudite : défendre ses parts de marché à tout prix
L’Arabie saoudite est derrière tous les échecs des réunions tenues depuis celle du 27 novembre 2014 quand elle a imposé une guerre des prix par le maintien du quota de l’organisation à 30 millions de barils par jour (30 Mbj) et enfreignant le système des quotas depuis 2011.
Lors de la réunion de Doha, l’Arabie saoudite, ayant fait le plein auparavant, voulait que tous les grands producteurs OPEP (dont l’Iran) et non-OPEP (Russie, le Mexique, Norvège…) réduisent d’abord leurs niveaux de production à ceux de janvier avant de procéder au gel. Son objectif consiste à mettre davantage de pression sur l’Iran pour l’empêcher de recouvrer sa production d’avant-sanctions.
Au demeurant, l’Arabie saoudite n’a pas l’intention de perdre ses parts de marché et l’augmentation de sa production est le seul moyen de sa préservation, quitte à brader encore son brut sur le marché asiatique où le pétrole iranien est justement très convoité.
Au jour d’aujourd’hui, à la veille de la rencontre d’Alger, le royaume wahhabite, «directeur de campagne» de l’opération de gel, produit déjà 1 Mbj de plus que le soi-disant niveau de gel de production de janvier 2016, laissant sous-entendre qu’il pourrait encore solliciter ses capacités de production, extensibles à plus de 12 Mbj, et qu’il ne la limiterait que si l’Iran acceptait le gel. Mais l’Arabie saoudite connaît bien le désintérêt total de l’Iran, vivant de la rente pétrolière, à marcher dans sa combine.
Il y a à peine quelques jours, le royaume, qui produit actuellement 10,7 Mbj, a fait savoir, par la voix de son ministre de l’Energie, sur Al Arabiya TV, en Chine, que pour l’instant, il n’y a pas nécessité de gel de production qui reste, selon lui, parmi les options préférées, mais pas pour le moment, puisque le marché s’améliore de jour en jour de lui-même, sans qu’aucune intervention soit nécessaire, ajoutera-t-il.
L’Iran : déterminé à recouvrer ses droits d’avant-sanctions
Même si le ministre du Pétrole iranien a confirmé sa participation aux prochaines discussions d’Alger, il n’a pas dit si son pays y soutiendrait un gel de la production. Il a même déclaré que son pays, qui a porté sa production actuelle à 3.85 Mbj contre 2.7 Mbj avant l’accord nucléaire du 14 juillet 2015, mais qui n’est entré en application qu’en janvier 2016, est plus que jamais déterminé à revenir, d’abord, à son niveau de production et récupérer ses parts de marché d’avant-sanctions. L’Iran, qui a exporté 2 Mbj en août dernier, n’accepterait le gel, qu’il qualifie de «plaisanterie», que si tous les membres de l’Opep lui reconnaissent le «droit» de récupérer les parts de marché qu’il a perdues sous l’embargo. Reste à savoir à quel niveau de production l’Iran sera prêt à accepter l’accord du gel, sachant qu’un plateau d’environ 4.4 Mbj, dont 2.8 Mbj destinés à l’exportation, est l’objectif de Téhéran à fin 2016. Pis encore, l’Iran a fait savoir que même s’il récupère ses «droits», il n’arrêtera pas d’accroître sa production tant que ses voisins, l’Irak et son rival, l’Arabie saoudite, continuent de booster les leurs.
À noter que l’Iran est en train d’attirer des milliards de dollars d’investissements étrangers pour rénover et étendre ses capacités de production. M. Ghamsari, directeur des affaires internationales et membre du conseil d’administration de la Compagnie pétrolière iranienne NIOC, venait de déclarer, à Singapour, que son pays ambitionne d’atteindre 5 Mbj dans les 2 à 3 années à venir et n’arrêtera donc de booster sa production que lorsque ses capacités ne le permettent plus, et c’est seulement à ce moment-là que le gel s’imposerait de lui- même à l’Iran.
La Russie : plutôt satisfaite des cours actuels
À Doha, la présence de la Russie était plus motivée par la stabilisation du marché pétrolier que par autre chose. Pourtant, cette réunion a essuyé un échec.
À Alger, les Russes seraient vraisemblablement beaucoup plus motivés par autre chose, dont la promotion de leur gaz sur le marché européen, que par la seule préoccupation des prix du baril.
Le ministre russe de l’Energie n’a pas manqué d’annoncer tout récemment que les conditions ne sont pas réunies pour un gel de la production étant donné que, selon lui, la fourchette de fluctuation des prix actuels (40-50 dollars) est jugée correcte et qu’ un gel de production serait inutile. Se cachant derrière la condition que tous les pays de l’Opep doivent d’abord atteindre le consensus, la Russie, qui pompe près de 11 Mbj, semble donc très peu disposée à négocier un gel à Alger, d’autant qu’elle envisage d’atteindre 11.3 Mbj l’an prochain, selon Jonathan Kollek, Ie chef du groupe pétrolier Eurasia qui précise que les coûts de production sont de 19.2 dollars par baril et 80% de la production russe est rentable à un prix de 20 dollars le baril.
Les autres membres de l’OPEP
En principe, la situation dramatique de l’économie de certains rentiers (Algérie, Libye, Irak, Venezuela…) n’est pas à la faveur d’un gel de production au moment où chacun semble vouloir supporter les prix actuels en produisant et exportant plus que de restreindre sa production au profit de quelques et incertains petits dollars pendant quelques jours.
L’Irak, qui produit 4 Mbj de pétrole, dont 3,6 Mbj sont exportés, n’a pas l’intention de s’arrêter là.
Le Premier ministre avait annoncé que son pays soutiendrait l’idée de gel mais pas dans l’immédiat puisque le gouvernement vient d’encourager les compagnies étrangères (dont BP, Shell, Lukoil et CNPC) à hisser leurs productions et exportations pour améliorer les revenus du pays, ce qui va à l’encontre du gel, d’autant que le pays a récupéré trois champs pétroliers qui étaient contrôlés par Daech. La Libye, qui dispose des réserves pétrolières les plus importantes d’Afrique, avec 48 milliards de barils, a vu sa production tomber de 1.6 Mbj depuis la chute de Kadhafi, en 2011, à seulement 300 000 barils par jour actuellement, suite aux dégâts causés par la guerre qui déchire le pays.
À l’instar de l’Iran et de l’Irak, la Libye envisage d’ouvrir progressivement ses vannes au fur et à mesure de l’amélioration de la situation sécuritaire du pays.
La Compagnie nationale de pétrole libyenne (NOC) vient d’annoncer qu’elle reprendrait les exportations et pour commencer, Mustafa Sanalla, le président de la NOC, a déclaré, ces derniers jours, sur le site de la compagnie, que son pays va doubler sa production à 600 000 barils par jour dans les quatre prochaines semaines. Le Nigeria, une des premières puissances économiques du continent, est confronté à une crise aggravée par les attaques sur ses sites pétroliers, menées par le groupe «Vengeurs du delta du Niger» depuis le début de l’année. Ce pays, qui produisait quelque 2 Mbj, et ayant perdu sa place de premier producteur et exportateur de pétrole d’Afrique, se voit dans le droit et la nécessité de reconstituer sa production qui a chuté de 20% depuis janvier 2016, selon les chiffres de l’Opep, mais le marché anticipe déjà la reprise de l’activité avec, par exemple, des cargaisons de brut d’Exxon, fin prêtes au port Qua Iboe depuis juillet dernier et qui n’attendent que le feu vert du gouvernement pour être exportées.
Quant au Venezuela, malgré ses réserves qui avoisinent les 298 milliards de barils (incluant le pétrole des sables bitumineux), il est l’un des pays les plus touchés par la crise pétrolière. En plus, sa production a chuté à 2.6 Mbj, le plus bas plateau depuis l’année 2003 avec 2.8 Mbj. Comme l’Algérie, ce membre de l’Opep est l’un des rares pays producteurs à chercher sérieusement des alliés pour un consensus autour d’un gel, voire d’une réduction de la production pour exciter la demande et redresser les prix. Le souhait de l’Algérie durant cette réunion est que cette dernière, tenue sur son sol, ne soit pas un remake de Doha mais sanctionnée par un accord de gel, même si cela va à l’encontre des objectifs des Algériens qui ambitionnent de hisser leur production à partir de 2016.
Mais avec sa production actuelle qui ne représente que 2.8% de celle de l’OPEP, l’Algérie n’a aucune influence sur les gros producteurs ni sur le marché. Dire que la réunion d’Alger va améliorer les choses paraît utopique. Il ne suffit pas de multiplier les consultations de sensibilisation sur le gel de la production pour espérer recueillir un consensus ou remonter les cours. Les choses semblent beaucoup plus compliquées que ça.
Ce n’est pas parce que la réunion se tient dans la «charismatique» capitale algérienne qu’elle va accoucher d’un accord. Il s’agit d’une décision unilatérale entre 2 ou 3 gros producteurs avec lesquels le charisme et le sentiment n’ont pas de place s’agissant de leurs intérêts nationaux. En février et mai 2016, l’Algérie avait aussi engagé des discussions avec des pays producteurs, membres ou non de l’OPEP, pour trouver un accord qui permettrait de stabiliser le marché et faire remonter les prix, mais sans succès.
Et là, je m’étonne que notre pays qui envisage d’augmenter sa production et ses exportations dès 2016 pour soigner les plaies, grandes ouvertes, de la crise, perd son temps à essayer de convaincre les autres d’accepter le gel.
Dans l’ensemble, les pays de l’OPEP, excepté le Venezuela et l’Algérie, sont réticents au gel, car en plus de leurs propres objectifs, ils tablent sur un rebond économique dans les pays consommateurs et une hausse de la demande de pétrole d’ici à la fin de 2016.
Selon le président de l’OPEP, la demande pétrolière dans le monde devrait augmenter et la fourchette actuelle des prix (45-50 dollars) n’est que temporaire mais acceptable pour cette année. Les pays de l’OPEP ne se mettraient d’accord sur un gel que lorsque chacun aura atteint ses objectifs ou ses pleines capacités de production, selon le cas. Ce qui renverrait le consensus total sur le gel aux calendes grecques au vu des divergences d’intérêts qui caractérisent les réunions de l’organisation, surtout depuis juin 2014.
À la réunion de Doha, l’Opep produisait seulement 33 Mbj et elle produit près de 34 Mbj à la veille de la réunion d’Alger, soit le niveau de gel minimal qui sera éventuellement arrêté à Alger, mais ce plateau aurait été plus élevé, n’étaient les gaps des productions libyenne, nigériane et vénézuélienne. Ainsi, vers la fin 2016, si chacun veut son plafond, la production de l’Opep risque de dépasser les 35 Mbj et le marché qui n’aura que trop cru au bluff finira par ne plus réagir aux murmures et discussions informelles du cartel et notamment de ses gros producteurs.
Le marché sera tout simplement sourd aux prochaines déclarations dont celles qui précéderont la réunion de l’OPEP du 30 novembre prochain à Vienne et durant laquelle les membres de l’organisation devront trouver une autre recette pour tenter de stabiliser les prix.
Les schistes, les non-Opep, ces grands omis
Les signes de rebond des prix notés ces derniers temps ne devraient pas être imputés trop vite à l’annonce de la tenue d’une réunion à Alger, puisque du côté atlantique, la production américaine, qui ne cesse de décliner depuis le début de l’année 2016 et le nombre restreint d’appareils de forage en activité, sont pour beaucoup dans le soutien des prix. Le nombre d’appareils de forage en activité, qui était de 1683 en janvier 2015, a chuté à 654 unités en janvier 2016 puis à 500 unités en ce début septembre pendant que la production a dégringolé de 9.6 Mbj en janvier 2015 à 8.3 Mbj actuellement. Ceci étant, les stocks qui étaient de 544 Mb à fin avril, niveau le plus haut depuis 1929, ont chuté à 511 millions de barils en ce début septembre et auraient chuté beaucoup plus n’étaient les importations qui ont atteint près de 9 Mbj, leur plus haut niveau depuis 2012, bien que l’annonce des stocks étant hebdomadaire, leur fluctuation reste un facteur ponctuel qui dépend de plusieurs aléas (production, importations, cadence des raffineries, conditions météorologiques retardant les livraisons, etc.). La dernière chute surprise des réserves américaines d’environ 15 millions de barils explique aussi ce rebond des cours.
Toutefois, si la réunion d’Alger arrive à faire remonter les prix dans la fourchette tant désirée par l’OPEP (50-60 dollars), ce qui parait utopique, cela profitera aussi aux investisseurs dans les schistes. L’activité forage, l’augmentation de la production, des stocks et la hausse de l’offre reprendront de suite et le recul du prix du baril suivra. Ce jeu du chat et de la souris, entre l’OPEP et les investisseurs, ne s’estompera que lorsque les principaux gisements de schiste franchiront leurs pics, ce qui ne saurait tarder en principe. Pour l’heure, les producteurs OPEP semblent ignorer qu’ils ne sont pas seuls sur le marché et que si le gel permet de hisser les prix de 5% pendant quelques jours, la mise en production d’un petit gisement de schiste peut les enfoncer de 10% pendant quelques semaines d’autant plus que des producteurs non-OPEP, à l’image du Kazakhstan, s’apprêtent à augmenter aussi leur production. Le passage 2016-2017 a toutes les chances de voir grossir les volumes excédentaires sur le marché, surplombant une croissance de la demande qui reste ralentie autour de 1.1% par an seulement.
L’accord de gel est, dans tous les cas, une option fondamentalement sans grand intérêt dans la durée. Seul un consensus sur la réduction de la production épongeant le surplus pourrait rééquilibrer le marché. Tous les membres du cartel voient en la réduction de la production l’unique option payante, mais qui osera servir de lièvre ? Craignant le chat, des souris se sont réunies et sont tombées d’accord pour lui accrocher une petite clochette autour du cou. Mais quelle souris osera le faire ?
La politique a aussi son quota
Si la situation du marché pétrolier semble faire converger les producteurs vers le même objectif qui est la nécessité d’une stabilisation des prix, la question syrienne demeure un facteur de divergence. Les plus gros pétroliers comme la Russie et l’Iran, alliés du régime de Damas, et l’Arabie saoudite, qui soutient certains groupes armés hostiles au président Bachar Al-Assad, tout en combattant d’autres, ont tous besoin de tenir compte de la crise syrienne dans leur politique budgétaire. Le seul point commun entre ces pays rentiers est d’augmenter leurs productions pour surmonter leurs engagements dans la crise syrienne (et la guerre au Yémen pour l’Arabie saoudite) et donc une réduction de leur production reste très hypothétique. Quant à l’Algérie, elle semble traiter, officiellement, avec l’Etat syrien dans son ensemble et non directement avec les différentes factions en conflit, même si la visite officielle en Syrie du ministre algérien des Affaires maghrébines, africaines et de la Ligue des Etats arabes, en avril dernier, rime avec un penchant vers le régime de Bachar Al-Assad, et par ricochet les positions russe et iranienne, sauf que l’Algérie, petit pays pétrolier, privilégie l’arme diplomatique à celle du pétrole dans le traitement de la crise syrienne. À la lumière de ce survol, des quantités conséquentes de pétrole sont attendues sur le marché et un consensus, éventuel, sur le gel de la production serait sans effet notable sur les prix qui risquent, plutôt, une dégringolade dans les jours ou semaines à venir, avant de se redresser, à moyen terme, au fil du déclin de la production des schistes, principale cause de la situation actuelle du marché.
M. S. B.