Nationalisation des hydrocarbures: Des retombées loin des résultats attendus
Date
28 février 2017
Source
Contribution parue dans le Soir d’Algérie du 20/02/2017
Durant le XXe siècle, l’Algérie a mené deux principales batailles. L’une consistant en la révolution armée (1954-1962) pour l’indépendance du pays et la consolidation de l’entité nationale, et l’autre, entamée en 1971, consistait en la nationalisation des hydrocarbures pour le développement économique et social de la nation. Si la première bataille a réussi à libérer bravement les Algériens du joug de l’ armée d’occupation française, après sept ans et demi de guerre, la seconde n’a servi qu’à la consécration de la souveraineté nationale sur les hydrocarbures sans pour autant avoir réussi à constituer cet outil de développement économique et social tant ambitionné.
Une des retombées de la nationalisation des hydrocarbures devait être l’utilisation de ces richesses naturelles, comme «industrie industrialisante», pour le développement et la diversification de l’économie du pays. Avant cette nationalisation, l’Algérie gagnait moins d’un dollar par baril (le prix du baril étant de 2 à 3 dollars) parce que l’Etat algérien n’avait qu’une participation de 25 à 50% dans les gisements en exploitation ( 25% seulement pour celui de Hassi Messaoud), alors que les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, consacrent l’intégrité territoriale et le rattachement du Sahara au territoire algérien.
A ce titre, le président défunt Houari Boumediène estime dans un discours historique que l’ère des faveurs est révolue : «…Si le pétrole a, pendant des décennies, grandement contribué à l’enrichissement et au renforcement des autres, il n’est que juste que cette richesse naturelle, mais non inépuisable, serve d’abord à la cause sacrée de notre propre développement et à la consolidation de notre indépendance politique.» Pour rétablir son économie, anéantie par la Seconde Guerre mondiale, la France a été contrainte d’intensifier la recherche pétrolière en Algérie.
Les travaux de prospection se concentrent dans les régions sahariennes, supposées épargnées par la guerre de libération et où, dès 1950, année d’introduction de la sismique en Algérie, les travaux d’exploration étaient lancés avec une première concession attribuée à la société SN Repal en 1952, puis à la CFP (Compagnie française de pétrole), la Royal Dutsh-Shell, et autre Creps (Compagnie de recherche de pétrole au Sahara).
Cette dernière découvre en 1953 le premier gisement de gaz de Berga, dans la région de In Salah. En janvier 1956, la même compagnie découvre le gisement d’huile d’Edjelleh, puis ceux d’Illizi, de Tiguentourine et de Zarzaïtine. Après ces découvertes de pétrole dans la partie est du Sahara algérien, les efforts de recherche de gaz à l’ouest du pays furent totalement abandonnés ou suspendus au profit du rush vers l’or noir, à l’est du Sahara.
Cinq mois se sont écoulés ; en juin 1956, l’association CFPA-SN Repal découvre, presque accidentellement, l’un des plus grands gisements de pétrole au monde : le champ de Hassi Messaoud dont les réserves initiales en place étaient estimées à environ 47 milliards de barils.
En novembre 1956, la SN Repal découvre, également, l’un des gigantesques champs de gaz dans le monde : le champ de Hassi R’mel dont les réserves initiales en place dépassent les 3 300 milliards de mètres cubes. Toujours soucieuses de reconstituer rapidement leur économie, rongée cette fois-ci par la résistance armée algérienne, les autorités françaises se précipitent sur la mise en production directe du pétrole de Hassi Messaoud, dès l’année 1958, au moyen d’un modeste oléoduc de 200 km, reliant ce gisement à Touggourt, d’où le brut est acheminé ensuite par citernage jusqu’au port de Skikda, pour son exportation. L’exploitation accélérée des gisements découverts a nécessité la pose de deux principaux oléoducs, l’un en 1959 (660 km), reliant Edjelleh-Haoud El-Hamra à Béjaïa, l’autre en 1960 (265 km), reliant Haoud-El-Hamra au port tunisien de la Skhira.
Les compagnies françaises intensifient l’effort exploration du fait que les dépenses écoulées auparavant se voient largement et rapidement récupérées vu les quantités de brut exportées et commercialisées.
Les travaux d’exploration ont atteint leur apogée la veille de l’indépendance avant de connaître un déclin spectaculaire à partir de l’année 1962, quand les compagnies françaises se consacrent essentiellement aux activités de production qu’elles contrôlent quasi totalement en prenant très peu de risques dans l’exploration dont le développement et l’exploitation des éventuelles découvertes profiteront beaucoup plus à l’Algérie indépendante.
La naissance de Sonatrach
Se trouvant dans une situation à découvert, l’Algérie décide d’être de la partie dans une industrie lui revenant de droit. En 1963, le 31 décembre, la Sonatrach a été créée mais juste pour le projet de construction d’un oléoduc reliant Haoud El Hamra à Arzew. Ce pipe de 28 pouces et long de 800 km va même, avec sa capacité de 21 millions de tonnes de pétrole, soulager les compagnies françaises dans l’extension des capacités de transport puisque dans un premier temps Sonatrach n’était qu’un simple partenaire au sein de l’Association Coopérative «Sonatrach-Sopefal» (Ascoop), créée en juillet 1965 pour mieux explorer le sous-sol du Sahara algérien. Le partage équitable des capitaux constitue un point essentiel de l’accord de cette association dans laquelle Sonatrach n’a cependant pas été épargnée du comportement grégaire de ses partenaires. Ces derniers connaissant mieux le terrain voyaient déjà leurs intérêts remis en cause avec l’implication de la partie algérienne. Les compagnies françaises accordent une priorité à l’exploitation des gisements et minimisent les efforts de recherche, ce qui est, pour Alger, un dédit des accords, supposés immuables, ayant donné naissance à cette association.
Dans le même temps, le niveau de production et des exportations algériennes était insignifiant avec moins de un (01) million de tonnes de pétrole par an, et ce, jusqu’en 1966, quand le baril était vendu à moins de 2 dollars, tandis que les exportations pétrolières des compagnies françaises sont curieusement passées de 20-25 millions de tonnes par an avant la naissance de l’Ascoop à 30-35 à partir de 1965 (soit plus de 90% de la production).
En 1969, l’Algérie estime que les compagnies françaises n’ont pas tenu leurs engagements en matière d’investissement qui ont énormément chuté entre 1965 et 1968, pendant que beaucoup de gisements sont découverts par Sonatrach, alors que selon les accords les compagnies françaises devraient verser une partie de leurs bénéfices dans la recherche ou sous forme d’impôts. Conscients du souci d’asseoir le développement de l’économie nationale, les Algériens décident d’étendre leur implication dans tous les secteurs de l’activité pétrolière. L’ère des prérogatives de l’Ascoop (qui n’a éclaté malgré tout qu’en 1972) n’aura ainsi duré que 3 années, durant lesquelles les Algériens ont déjà beaucoup perdu en matière de recettes.
Les nationalisations partielles de 1967-1968
Voyant son pétrole dans une situation trop lésée et consciente du rôle des hydrocarbures dans le développement économique et social, l’Algérie lança un processus de nationalisations partielles (1967-1968) en mettant la main sur 51% de certains intérêts étrangers et le transfert de biens à Sonatrach. Cela a commencé avec les réseaux de distribution de British Petroleum (BP), les raffineries de Mobil, et d’autres intérêts d’Esso (Exxon aujourd’hui), de Shell, en passant par le retrait de quelques titres miniers et leur transfert à Sonatrach.
En 1969, Alger informe les sociétés françaises que la redevance doit être revue à la hausse et en juillet de la même année l’Algérie décide son adhésion à l’Opep, donnant ainsi au pétrole algérien le régime fiscal qui lui revient et à son peuple plus de possibilités d’utilisation d’une énergie à même les pieds mais loin de son foyer.
Le pétrole lampant et le charbonnier constituaient en effet le principal refuge pour le foyer algérien. La consommation domestique reste insignifiante devant celle industrielle profitant au patronat étranger.
Ce n’est qu’après ces nationalisations que la part des hydrocarbures (60%) a dépassé celle du charbon (24%). Aussi, ces premières nationalisations se traduisent immédiatement par une nette amélioration dans le contrôle de l’industrie pétrolière par la jeune équipe Sonatrach.
En recherche et prospection, l’effort sismique de Sonatrach est passé brusquement de 500 km en 1968 à plus de 6 500 km en 1970 et celui forage d’une dizaine à une trentaine de puits, pendant que l’effort des compagnies étrangères décline de 85% par rapport à la période 1960-1965. Sur le plan production-commercialisation des hydrocarbures liquides et gazeux et avec la disponibilité de l’oléoduc Haoud El Hamra-Arzew, construit par Sonatrach, le niveau de la production algérienne de pétrole est passé de moins de 1 million de tonnes par an en 1967 à quelques 6 millions de tonnes en 1968 et atteint 10 millions de tonnes en 1970. Toutefois la période reste encore dominée par la production des compagnies étrangères (30 à 35 millions tonnes/an), et ce, jusqu’aux nationalisations de 1971.
Concernant le gaz, il est vrai que la valorisation du pétrole a une longueur d’avance sur celle du gaz puisque ce dernier n’a été que timidement et tardivement exploité.
Ce n’est que vers 1963 que le gaz a commencé à être exploité et commercialisé avec moins de 5 milliards de m3/an, et ce, jusqu’aux premières nationalisations.
Le seul gazoduc disponible, érigé en 1961, étant celui reliant le champ de Hassi R’mel au complexe de liquéfaction d’Arzew. Comme pour le pétrole, l’essentiel de la production de gaz est exporté.
Pendant ce temps, les partenaires de Sonatrach avaient la faveur de produire et commercialiser, en plus du pétrole, de modestes quantités de GPL (gaz de pétrole liquéfié) et du condensat. On peut dire que si ces premières nationalisations ont permis à l’Algérie d’améliorer ses revenus et sa position dans le contrôle du secteur pétrolier, elles n’ont pas trop affecté les intérêts étrangers en termes de commercialisation et d’exportation. La production et les exportations pétrolières ont même connu entre 1966-1970 les plus hauts niveaux jamais atteints par les compagnies étrangères.
Les nationalisations du 24 février 1971
Malgré le fait que les nationalisations de 1967-1968 et l’adhésion à l’Opep en 1969 aient permis à l’Algérie de consolider sa position dans le contrôle de ses richesses naturelles, il n’en demeure pas moins que la défense de ses intérêts n’a pas atteint sa complète légitimité dans l’esprit de certains médias français qui reviennent à la charge contre l’Algérie pour avoir souhaité, à l’occasion de la révision des accords de 1965, l’ajout de quelques dizaines de cents au prix du baril algérien. Alger augmenta quand même le prix de son baril de 2 à environ 3 dollars. Restée sur sa soif de consolider ses intérêts légitimes, l’Algérie, jalouse de ses richesses naturelles, procède aux nationalisations historiques du 24 février 1971, puis à la promulgation de la loi fondamentale du pétrole deux mois après (loi 71-22 du 12.04.1971), fixant les modalités et les conditions pour les compagnies étrangères désireuses d’opérer en Algérie et mettant, du coup, fin au régime fiscal de faveur pour les compagnies françaises et abrogeant de fait tous les codes pétroliers précédents, y compris certaines dispositions des accords d’Evian et de l’Ascoop.
Cette courageuse décision a permis aux Algériens de contrôler la quasi-totalité du domaine minier national tout en bénéficiant de 51% des intérêts pétroliers étrangers et 100% des intérêts gaziers (y compris le gaz associé). Le prix du baril algérien est désormais celui pratiqué par l’ensemble des pays pétroliers. Il passe de 5 ou 6 dollars en 1973 (guerre d’octobre arabo-israélienne) à plus de 16 dollars en 1974 pendant que le prix moyen du brut des autres pays arabes avoisinait les 12 dollars. Sur les plans opérationnel et managérial, ces nationalisations ont été décidées non sans risques. La jeune équipe Sonatrach, qui ne disposait alors que de quelques dizaines de techniciens inexpérimentés, est désormais maîtresse du terrain et avait pour nouvelle et lourde mission de ne ménager aucun effort dans la prospection et la recherche afin de renouveler les réserves et permettre au pays, non seulement de gérer lui-même l’approvisionnement en pétrole de la France dont les cadres ont déserté en masse les chantiers et les complexes pétroliers, mais aussi d’assurer la pérennité énergétique et le développement d’une économie algérienne inexistante. L’«industrie industrialisante» était, en ces temps-là, la devise conjoncturelle du fait que le secteur des hydrocarbures constituait l’unique pourvoyeur de recettes pour les caisses de l’Etat algérien.
Après les nationalisations de 1971, Sonatrach décide de valoriser, petit à petit, les produits raffinés, le condensat, le GPL, et particulièrement l’industrie du gaz naturel en érigeant pas moins de cinq gazoducs entre 1980 et 1986, tous reliant le champ de Hassi R’mel à différents centres gaziers : les Issers, Arzew, Oued Safsaf, Alrar et l’Italie (Transmed, devenu Enrico- Mattei).
La production gazière passe de 45 milliards de mètres cubes en 1980 à 90 milliards en 1985 et les volumes exportés, ne dépassant pas les 10 milliards de mètres cubes par an avant les années 1980, ont doublé avec la construction du gazoduc Transmed. Pour le pétrole, la période reste toutefois marquée par un début de déplafonnement de la production qui a baissé de 40 à 32 millions de tonnes par an pour Sonatrach et de 11 à moins de un (01) million de tonnes pour les partenaires. Quant aux exportations de Sonatrach, elles dégringolent de 35 à 12 millions de tonnes par an et demeurent insignifiantes pour ses partenaires. L’année 1980 reste également marquée par un début de déclin de l’effort de recherche par les moyens propres.
La taille et le nombre de découvertes au lendemain des nationalisations de 1971 ne reflètent pas l’effort de recherche investi jusqu’au milieu des années 1980. La période 1971-1985 correspond, en effet, à un effort de recherche maximal mais aussi au plus bas niveau de découvertes jamais atteint. Ceci dénote l’obsolescence des techniques utilisées devant la complexité d’un domaine minier encore sous- exploré.
Le «second partenariat» (loi 86-14)
Les Algériens, conscients de la nécessité absolue d’améliorer la production et les découvertes pour assurer la pérennité énergétique du pays, décident d’ouvrir leur domaine minier au partenariat international en promulguant, en 1986, une nouvelle loi sur les hydrocarbures (loi 86-14 du 19 août 1986). C’est, en quelque sorte, une mise à jour de la loi fondamentale du pétrole, ayant coiffé, rappelons-le, les nationalisations historiques du 24 février 1971.
Par cette nouvelle loi, l’Algérie, désormais maîtresse de son pétrole, fixe les règles de l’association en exigeant une santé financière et technologique du partenaire étant donné que ces deux critères constituent les facteurs ayant fait défaut à Sonatrach dans la tentative du maintien du ratio découvertes-production au lendemain des nationalisations. À ce titre, l’article 26 de la loi 86-14 stipule que «nul ne peut être associé dans le cadre de cette loi, s’il ne justifie pas de capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien la prospection, la recherche et l’exploitation et s’il ne souscrit à l’engagement d’y consacrer un effort financier et technique approprié». L’engagement du partenaire à financer totalement les travaux de recherche, le partage de la production (Sonatrach ayant un minimum de 51%), le transfert technologique et le droit de regard de Sonatrach sur les activités opérationnelles… caractérisent le type de partenariat adopté par l’Algérie, comparativement à d’autres pays pétroliers comme l’Iran (contrat de service et rémunération par le brut), l’Arabie saoudite (contrat de fourniture de brut, accords commerciaux en contrepartie), le Venezuela (le partenaire n’est pas propriétaire du brut, mais peut l’exploiter moyennant une redevance) ou encore l’Irak (accords de développement).
Le modèle algérien n’est autre que celui adopté vers la fin des années 1960 en Indonésie et qui s’est répandu ensuite dans de nombreux pays. Les fruits de la loi 86-14 ont commencé à tomber quelques mois à peine après son entrée en vigueur, par la signature des premiers contrats de prospection avec la française Total (le 7 octobre 1987), de recherche avec l’italienne Agip (le 12 décembre 1987) ; viennent ensuite l’espagnole Cepsa (9 février 1988), l’américaine Anadarko (23 octobre 1989), dans laquelle Sonatrach détenait déjà 11 à 14% des intérêts, etc. Au jour d’aujourd’hui, pas moins d’une centaine de contrats d’exploration ont été conclus dont 85% sous la loi 86-14.
Grâce à cette synergie de partenariat, l’Algérie a été classée, en 1994-1995, premier pays au monde en matière de découvertes pétrolières et les réserves sont ramenées à leur niveau des années 1970. Le volume total des exportations n’a cessé de croître par la rénovation des unités GNL et le dédoublement des capacités de transport par gazoducs. Les fruits de ces efforts stratégiques du pays ont été récoltés notamment durant la décennie écoulée avec une production moyenne annuelle de 230 millions de tonnes-équivalent pétrole (TEP) sous un prix du baril autour de 90-100 dollars, des recettes cumulées avoisinant les 800 milliards de dollars et des réserves de change côtoyant les 200 milliards de dollars. Malheureusement, l’Algérie, souveraine, n’a pas tiré le meilleur parti de cette florissante industrie pour la mettre au service du développement économique et social, hypothéquant ainsi toute diversification de son économie en remettant aux calendes grecs sa mutation vers un modèle hors hydrocarbures.
Ces derniers contrôlent toujours 96% des exportations, 40% du PIB et 60% des recettes budgétaires pendant que tous les baromètres économiques sont au rouge. Les réserves de change plongent de 30%, les recettes de 50%, la production des hydrocarbures de 20%, le prix du baril de 50% et les exportations de 30%. Le déficit budgétaire dépasse les 25 milliards de dollars, l’austérité, l’augmentation des impôts, l’atteinte aux subventions, l’érosion du pouvoir d’achat et la paupérisation du citoyen accompagnent désormais la fin des années pétrole à se demander par quel miracle notre pays, économiquement à genoux, pourrait encore se relever.
Les ambitions et les objectifs des nationalisations, selon le défunt Houari Boumediène, étaient de se servir des hydrocarbures, non inépuisables, comme une simple passerelle vers une économie de production créatrice de richesse et de croissance durables en s’extirpant progressivement des méfaits de la rente. La passerelle s’est écroulée sans que l’Algérie ait atteint l’autre rive. Le pays a tout simplement changé de mains et de direction.
M. S. B.